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Consommer moins, consommer bien : le nouveau paradigme du commerce.

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Recherche des “bonnes affaires”, essor de la seconde main et de la location, plébiscite pour un commerce à la fois peu coûteux, éthique et responsable : le nouveau consommateur souhaite moins consommer et mieux consommer. C’est ce nouveau consommateur et les comportements qui lui sont propres qui façonneront le commerce de demain. Ce nouveau commerce sera plus vertueux et durable. Et dans ce nouveau commerce, le luxe et l’exception auront un rôle à jouer. Paradoxal ? Pas tant que cela…

Sobriété. Tel est le maître mot de cette rentrée 2022. Une sobriété contrainte. Par l’inflation, d’une part, et, d’autre part, par l’urgence climatique, dont nul ou presque ne conteste à présent l’évidence. Mais aussi une sobriété volontaire, reflet d’un changement profond de mentalité des clients et, plus largement, des citoyens de nombreux pays. Ces clients-citoyens se tournent désormais vers des modes de consommation durables, comme la seconde main et la location. Évidemment, beaucoup de clients, notamment les plus jeunes d’entre eux, plébiscitent encore, pour des questions de budget, des enseignes à très petits prix, telles que Shein, le leader mondial de la fast fashion. Un secteur dont l’impact négatif, tant social qu’environnemental, n’est pourtant plus à démontrer. Justement. Au vu des conséquences, délétères pour l’environnement, de la fast fashion, de plus en plus de jeunes consommateurs manifestent le souhait de lui tourner le dos. 

Le marché de la seconde main devrait dépasser celui de la fast fashion dès 2028.

D’après une étude ThredUp / Global Data, menée en janvier 2022 auprès de jeunes américains, 48% des clients d’enseignes de la fast fashion déclarent éviter d’acheter des vêtements sur des plateformes à très bas prix lorsqu’ils le peuvent et près des deux tiers d’entre eux disent aspirer à acheter davantage d’articles d’occasion. Il faut dire que dans le secteur de la mode, la seconde main connaît, depuis plusieurs mois, un essor sans précédent. Aux États-Unis, la croissance du marché du vêtement d’occasion est telle qu’il pourrait justement dépasser celui de la fast fashion dès 2028. En France, selon les estimations de l’Institut Français de la Mode, le marché de la seconde main pesait d’ores et déjà un milliard d’euros en 2018.  En 2019, pas moins de 39 % des Français ont acheté au moins un vêtement ou accessoire de mode de seconde main.

De nombreuses enseignes se tournent vers l’occasion et la location.

Ce goût grandissant des clients  pour des modes de consommation alternatifs pousse, de fait, nombre d’enseignes à revoir leurs modèles pour proposer des offres d’occasion ou de location. C’est le cas, entre autres, de Leroy Merlin, qui teste actuellement la location de kits de bricolage en ligne, de JouéClub, qui déclare, en cette rentrée, vouloir déployer son offre de seconde main à l’échelle nationale,ou encore de Selfridges, au Royaume-Uni, qui vise à ce que d’ici 2030, la moitié de ses interactions avec les clients soient basées sur la revente, la réparation, la location ou les recharges.

Un secteur du luxe qui affiche une santé insolente.

En ces temps de frugalité, il est un autre secteur qui, de façon surprenante, affiche une santé insolente : le luxe. Au premier semestre 2022, le groupe LVMH a par exemple réalisé un bénéfice net de 6,5 milliards d’euros, soit une croissance de 23 % par rapport à la même période en 2021. Les résultats nets du groupe Kering ont quant à eux profité d’une hausse de pas moins de 50% entre 2020 et 2021. Des résultats records que d’aucuns pourraient trouver paradoxaux, au vu de la propension croissante des clients à rechercher de “bonnes affaires” et de leur volonté, de plus en plus prégnante, d’opter pour des comportements d’achat plus responsables.

Consommer moins, consommer mieux.

Et pourtant. Pour ma part, je ne vois là aucun paradoxe. Au contraire. L’essor de modes de consommation responsables, moins coûteux et durables, et l’immense succès dont bénéficie actuellement  le secteur du luxe, participent du même phénomène. Un changement de paradigme du commerce, fruit de l’abandon progressif, par la société, du “consommer plus”, au profit du “consommer moins et mieux”. Le luxe n’est-il pas finalement, par le caractère à la fois exceptionnel et durable de son offre produit, l’antithèse de la fast fashion ?

75 % des Français comptent acheter des produits de luxe d’occasion.

Au fond, le luxe a tout de la parfaite incarnation du “consommer mieux”. Le luxe, c’est l’exception ; c’est la petite entorse aux habitudes, à la routine et, parfois même, à la raison…et au raisonnable. Le luxe, c’est aussi prendre son temps. Dans le luxe, le magasin crée sa propre temporalité. Une temporalité dans laquelle tout se fige, pour laisser le temps à la détente, à l’hospitalité. Pour laisser le temps au choix et, in fine, à l’achat de produits qui, le plus souvent, durent dans le temps jusqu’à, parfois même, se transmettre de génération en génération. 

Le luxe, c’est, aussi et de plus en plus, la responsabilité. Ce sont de grandes maisons qui se tournent aujourd’hui vers la location ou l’occasion pour donner une seconde vie au produit, lutter contre le gaspillage et réduire leur empreinte carbone. Parmi ces grandes maisons, on peut citer, par exemple, Michael Kors qui a lancé, cet été, sa propre marketplace de seconde main, Michael Kors Pre-loved. Il faut dire que, dans le luxe aussi, la seconde main a le vent en poupe : le luxe d’occasion bénéficie d’une croissance quatre fois supérieure au marché du neuf, alors qu’il  représentait déjà pas moins de 28 milliards d’euros en 2020 dans le monde. En France, 75 % des consommateurs  se disent prêts à acheter des produits de luxe d’occasion, selon une étude réalisée au printemps 2022 par Adot et CMI Media. Ces intentions d’achat sont motivées en premier lieu par le prix (82%)  et par l’impact positif d’une limitation de la production d’articles neufs (52%).

Un client-citoyen qui adapte ses habitudes de consommation au gré de ses envies.

Évidemment, un article de luxe, même de seconde main, n’est pas, a priori, à la portée de toutes les bourses. Est-ce à dire que s’offrir un article de luxe n’est réservé qu’à une poignée de privilégiés et qu’à l’inverse, chercher à faire des économies serait l’apanage des classes moyennes et populaires ? Pour moi, la réponse est non. C’est une évidence. Le nouveau client-citoyen n’est plus “l’être consommant” monobloc qu’il était jadis. Tantôt économe, tantôt dépensier, les sommes qu’il est prêt à engager dans un achat ne sont plus seulement définies par la taille de son porte-monnaie, mais, aussi et surtout, par la relation qu’il entretient avec un produit, un service, une expérience. Ce nouveau consommateur paraît ambivalent voire insaisissable, tant son comportement s’adapte, parfois, à ses envies, à ses “coups de folie” et, d’autres fois, à ses besoins, à ses contraintes, à son budget. Durant ses vacances, il peut loger en camping par souci d’économie et, un soir, décider de s’offrir un repas dans un restaurant étoilé. Il peut, de même, agrémenter de truffes son gratin de coquillettes. Qu’importe la typologie de client à laquelle il est censé appartenir. Le nouveau consommateur appartient, à la fois, à toutes et à aucune de ces typologies. 

Et c’est ce nouveau client-citoyen, adepte du « consommer moins et consommer mieux” qui orientera le commerce de demain. Un commerce polymorphe, qui offre la possibilité au client d’adapter son mode de consommation au gré de ses besoins, envies et priorités de l’instant.