Les nouvelles technologies au secours de la biodiversité.
Alors que la disparition d’un nombre toujours plus important d’espèces animales devient problématique partout à travers le monde, scientifiques et start-ups misent de plus en plus sur le numérique pour protéger la biodiversité. Explications.
En 2016, un an après la COP21, la fondation WWF (World Wide Fund for Nature), la plus importante organisation non gouvernementale en matière d’écologie, publiait, dans son rapport biannuelle « Planète vivante », des chiffres alarmants sur le déclin de la biodiversité. Entre 1970 et 2012, en moins de 50 ans, les populations mondiales de poissons, d’oiseaux, de mammifères, d’amphibiens et de reptiles ont régressé de 58 % sur chaque continent. En 2024, ce chiffre a été porté à 69%. Une chute vertigineuse. En creux, cela signifie que les deux tiers de la faune a d’ores et déjà disparu ou est directement menacée d’extinction, ce qui met en péril l’existence de notre propre espèce, entièrement dépendante de la biosphère. Ce sont essentiellement le braconnage, la déforestation, et la pollution des milieux naturels qui sont responsables de cet anéantissement biologique à grande échelle.
Il y a plus que jamais urgence à agir car le réchauffement climatique va aggraver ce qui est désormais considéré comme la 6ème extinction de masse. Avec l’augmentation des températures, la survie de près de 90% des espèces animales pourrait être compromise d’ici 2080 dans certaines régions du monde.
Tout n’est cependant pas perdu car le numérique est devenu un allié de poids pour préserver la biodiversité. En faisant appel à l’innovation et en mobilisant l’intelligence artificielle, il est possible d’inverser la tendance. Comment les outils digitaux peuvent-ils contribuer à protéger le vivant ?
Lutter contre le braconnage
C’est le 4ème trafic illégal le plus rentable au monde, derrière la drogue, les armes et la prostitution. Grâce à la revente des animaux capturés ou tués, le braconnage génère chaque année un chiffre d’affaires de près de 20 milliards de dollars. Sur ce marché noir, un kilo de corne de rhinocéros vaut 60 000 dollars, c’est à dire autant qu’un kilo d’or. Cette activité illicite et lucrative est généralement opérée par « des bandes organisées munies d’armes automatiques, de systèmes GPS et de bons moyens de transport, mieux équipées que les organismes d’application de la loi, qui ont des liens commerciaux s’étendant aux organisations criminelles à travers le globe », ce qui rend les trafiquants difficiles à appréhender, précise Sabri Zain, Directeur juridique de TRAFFIC International, une ONG qui lutte contre ce fléau.
Pour freiner ce massacre organisé, la Fondation Lindbergh, dont la mission est de développer des projets qui mettent la technologie au service de l’environnement, a monté un partenariat avec la start-up Neurala, spécialisée dans le deep learning. Cette dernière a conçu un drone équipé d’un programme d’ intelligence artificielle qui est capable de différencier au sol animaux, véhicules et être humains afin d’identifier, de jour comme de nuit, les intrus potentiels dans les réserves et d’alerter les gardes-forestiers en temps réel. En service depuis plusieurs annés en Afrique du Sud, ce dispositif a permis de faire cesser entièrement le braconnage dans certains endroits, comme l’explique Massimo Versace, CEO de Neurala : » Sur la zone ou nous avons déployé nos drones de surveillance, le nombre de rhinocéros tués par mois est passé de dix-neuf à zéro. C’est un parfait exemple de la façon dont l’IA peut être utilisée pour une bonne cause. »
Dans le même registre, la chercheuse britannique en machine learning Olga Isupova a mis au point un algorithme destiné à la surveillance des éléphants d’Afrique, dont les populations sont décimés par les braconniers à un rythme si rapide que l’espèce est exposée à un danger critique d’extinction, selon les études menées par l’UICN (Union internationale pour la conservation de la nature). Cet outil permet à un satellite de scanner de vastes étendues de terres, de compter en une fraction de seconde les éléphants qui s’y trouvent, et de s’assurer que leur nombre reste stable.
Réduire la déforestation
La biodiversité est également impactée par la destruction des habitats naturels, dont la déforestation est en grande partie responsable à l’échelle planétaire. Or, une grande partie de l’abattage des arbres se fait de façon illicite, au nez et à la barbe des autorités, que ce soit en Amérique du Sud, en Asie ou en Afrique, ce qui représente, selon Greenpeace, entre 15 et 30 % du bois commercialisé dans le monde, pour une valeur commerciale estimée à 11 milliards de dollars.
Pour lutter contre ce phénomène, la start-up Rainforest Connection, basée à San Francisco, déploie depuis une dizaine d’années un dispositif ingénieux et simple à mettre en œuvre. Positionnés sur les arbres à intervalles réguliers, alimentés par de petits panneaux solaires, des smartphones sont programmés pour écouter la forêt et identifier tout bruit anormal. Lorsque le son d’une tronçonneuse est identifié, un texto ou un email, contenant une géolocalisation précise, est automatiquement envoyé aux autorités, qui peuvent alors intervenir.
Même combat pour l’ONG Witness qui équipe de smartphones les populations victimes de la déforestation illégale pour qu’elles puissent filmer les infractions commises et aider les autorités à identifier les délinquants.
Autre initiative prometteuse, la FAO (Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture) a mis en service une version améliorée de la plateforme opensource SEPAL (Système pour l’accès, le traitement et l’analyse des données d’observation de la Terre) qui permet aux utilisateurs, qu’ils soient des scientifiques ou de simples particuliers, de surveiller les forêts à partir de données satellitaires transparentes, exactes et cohérentes, « ce qui est essentiel pour réduire la déforestation, prévenir les répercussions les plus graves du changement climatique, empêcher la perte de biodiversité et préserver les nombreux avantages que procurent les forêts aux êtres humains et à la nature », comme il est précisé dans la présentation officielle du projet.
Enfin, pour reconstituer les forêts, la start-up britannique BioCarbon Engineering s’est associé au fabricant français Parrot pour concevoir un drone qui croise intelligence artificielle et cartographie 3D pour semer des graines aux endroits stratégiques. Testé en Australie, ce drone atypique est capable de semer 100 000 graines germées par jour, même dans les zones les plus inaccessibles. Une arme de replantation massive qui est en mesure de faire pousser des centaines de milliers d’arbres partout sur la planète.
Dépolluer les milieux naturels
Autre grand challenge, la dépollution des milieux naturels, qu’ils soient marins ou terrestres, est une priorité pour préserver la biodiversité. Pour mener à bien ce gigantesque chantier, le numérique propose des outils d’identification des déchets qui sont particulièrement utiles pour planifier les opérations de nettoyage. En 2020, une équipe de chercheurs de l’Université de Plymouth a inventé un algorithme qui détecte automatiquement les résidus plastiques flottant à la surface des mers en caractérisant leur signature spectrale grâce aux données fournies par les satellites Sentinel-2 de l’Agence spatiale européenne (ESA). En appliquant la même méthode, cette innovation vertueuse peut repérer les zones d’accumulation des déchets plastiques sur la terre ferme. Testé dans 12 pays d’Asie du Sud-Est, l’algorithme a révélé l’existence de 996 décharges, dont les deux tiers étaient inconnus des autorités.
Dans la même logique, Microsoft a collaboré avec l’ONG The Ocean Cleanup, dont la mission est de développer et de déployer des technologies robotisées pour extraire la pollution plastique des océans et des rivières, afin de mettre au point un algorithme de machine learning qui identifie les déchets plastiques dans les cours d’eau et les fleuves. Grâce à un drone équipé d’une caméra, cet outil est en mesure de dissocier les matières plastiques des autres matières. Peu coûteuse et simple à utiliser, cette innovation est applicable à toutes les rivières du monde afin de faciliter leur dépollution.
Enfin, pour mettre un peu plus d’huile dans les rouages, la plateforme Global Plastic Watch cartographie la pollution plastique mondiale en temps réel à l’aide d’une combinaison unique d’images satellite et d’intelligence artificielle. Grâce aux données partagées en open source par l’Agence spatiale européenne, cette plateforme unique en son genre détecte les sites de déchets plastiques sur terre, quantifie leur masse, et les surveille au fil du temps pour mesurer leur évolution. Elle permet de lutter contre les décharges illégales, mais aussi de simplifier les opérations de dépollution.
Avec l’augmentation des températures, la disparition des espèces animales et végétales constitue l’autre grand danger qui nous menace. Ce phénomène, qui apparaît encore abstrait, est appelé à avoir des effets particulièrement négatifs sur l’économie et sur l’agriculture. Le secteur du retail ne sera pas épargné. Pour rectifier le tir, le numérique présente l’avantage de pouvoir fédérer chercheurs, start-ups, grandes entreprises, citoyens et consommateurs. C’est une solution dont nous devons toutes et tous nous emparer pour préserver la biodiversité.