[Dossier] Le prêt-à-porter ou la chronique d’un déclin annoncé – #2 : 2000- 2010, l’âge du Web 2.0 et du e-commerce.
L
e secteur du prêt-à-porter subit une crise sans précédent. Une hécatombe expliquée, pour beaucoup, par l’avènement du numérique, auquel les enseignes essuyant actuellement de grosses difficultés n’ont pas pris part assez tôt, ainsi que par la crise sanitaire et les fermetures de magasins qu’elle a induites. En réalité, les raisons de ces difficultés sont à la fois plus anciennes, plus nombreuses et plus profondes. Et si, finalement, le déclin de ces enseignes stars des années 90 avait pris racine il y une trentaine d’années, au moment-même où leur notoriété atteignait son paroxysme ?
Chronologie d’une apocalypse annoncée :
#2 : 2000- 2010 – l’âge du Web 2.0 et du e-commerce : du commerce local au commerce “cross-hexagonal” et au “cross-border commerce”.
Années 2000. Paris. Des groupes de fashionistas en sortie shopping battent le pavé, habillées d’un “crop top” Asos et d’une paire de jeans bootcut taille basse Diesel ou Miss Sixty, chaussées de boots à bouts pointus et arborant fièrement un sac Gérard Darel, acheté sur Vente Privée….
Le Web 2.0, ce faiseur…et défaiseur de réputation pour les enseignes.
Âge d’or des bimbos, des lolitas et, plus généralement du “mauvais goût”, les années 2000 ont été récemment qualifiées par le magazine Marie-Claire de “traumatisme modeux”. Si effectivement, les tendances vestimentaires de l’époque pouvaient se prévaloir d’une classe et d’une distinction toutes relatives, les années 2000 ont, aussi et surtout, été le témoin d’une révolution sans précédent : la naissance du Web 2.0.
C’est par ce biais et, notamment, à travers des blogs et forums de discussion que, dès la première moitié des années 2000, les femmes françaises – principalement les plus jeunes – ont repris le pouvoir sur leur consommation de vêtements. Ainsi sont entrés dans le langage courant des anglicismes tels que “it-girl” ou encore “it-bag”, donnant par là même aux pionnières de l’influence 2.0, le pouvoir d’élever une marque au rang de “must have”, ou de la faire descendre au fin fond des oubliettes de la mode, en faisant s’abattre sur elle l’arbitraire et fatal qualificatif de “so passé”.
Les années 2000 ou l’ère des “it-girls”.
Les modeuses des années 2000 dénichent leurs “must-have” vestimentaires en scrutant méticuleusement les tenues (justement) des “it-girls” de l’époque, comme Lindsay Lohan, les soeurs Olsen, ou encore Alexa Chung, Des personnalités que l’on imagine assez mal fouler le sol d’un Camaïeu ou d’un Pimkie, mais qui n’hésitent pas à faire leurs achats chez H&M sous l’œil des paparazzis, alors même que l’enseigne suédoise déployait ses magasins aux quatre coins de l’hexagone, mettant fin au court répit dont avait pu bénéficier les acteurs historiques des villes moyennes à la fin des années 90.
Ce sont aussi ces icônes de la mode de l’époque qui permettent à la marque Miss Sixty de devenir un incontournable du jean – aux côtés de Diesel – faisant, durant un temps, oublier à une part non négligeable de consommatrices l’existence-même de marques cultes telles que Levi’s. Un canal de communication somme toute très efficace, que certains acteurs n’hésitent pas à faire fructifier. C’est le cas du britannique Topshop qui s’est par exemple associé en 2007 à une autre fashionista incontournable de l’époque, Kate Moss, à travers le lancement de sa collection Kate Moss For Topshop.
Or si, même maintenant, l’enseigne d’outre-Manche n’a pas de réelle présence en France, n’ayant, à ce jour, ouvert aucun magasin physique en stand-alone sur notre territoire, la marque n’en est pas moins accessible chez nous, dès les années 2000, à travers l’essor du e-commerce et, surtout, des MarketPlaces, Asos en tête.
Quand le Web permet aux Françaises de découvrir des enseignes étrangères…et d’y accéder.
Créé en 2000, Asos propose des marques telles que River Island ou Levi’s , mais également des enseignes encore peu ou pas connues en France, telles que New Look…et Topshop. Des enseignes qui, entre autres, proposent d’ores et déjà des collections de vêtements inclusives, adaptées aux différents types de morphologie. Ces déclinaisons aux formats “petites”, “tall”, ou “plus size”, qui sont alors très courantes au Royaume-Uni, y compris dans les rayons de magasins français comme Etam – en tout cas pour ce qui est des grandes tailles – font encore figure d’exception dans l’hexagone.
Outre leur avant-garde en matière d’inclusivité morphologique, ces marques n’hésitent pas, à l’image d’H&M, à collaborer avec des créateurs de grandes maisons pour créer des collections exclusives. Il faut dire qu’avec la montée en puissance du Web 2.0, couplée avec l’immense pouvoir de prescription des célébrités de l’époque, on voit naître, chez les clientes, une fascination exacerbée pour les marques luxe et une envie d’afficher, de manière ostentatoire, les articles de luxe qu’elles ont eu la chance de pouvoir s’offrir.
Les années 2000 voient de fait l’essor de marques comme Von Dutch ou Abercombie, qui toutes deux font fureur chez les stars et ont pour habitude d’appliquer des logos pour le moins ostensibles sur leurs vêtements et accessoires.
Une concurrence mondialisée et une clientèle plus volatile.
Logiquement, ce goût exacerbé pour le luxe a pour conséquence de faire prospérer comme jamais le marché de la contrefaçon. Mais pas seulement. Il procure aussi un succès à la fois rapide et pérenne à de jeunes acteurs innovants du e-commerce comme Vente Privée qui, en proposant des fins de séries de grandes marques à prix cassés, permet à quiconque et ce, quels que soient son niveau de revenus et sa ville de résidence, d’acquérir des pièces de maisons de renom. C’est ainsi que naissent en France le commerce “cross-hexagonal”, qui permet aux personnes habitant dans de petites villes ou des villes moyennes d’accéder à des enseignes qui ne sont pas implantées chez elles, et le “cross-border commerce”, qui leur permet de se procurer des articles de marques étrangères.
En résulte alors une mondialisation de la concurrence, qui rend, de fait, caduque la notion de zone de chalandise dans son acceptation originelle, puisque cette dernière peut désormais s’étendre (quasiment) à l’infini, si tant est qu’on ait su développer les capacités digitales et logistiques nécessaires à son expansion ou, à l’inverse, être réduite à peau de chagrin par la concurrence d’acteurs nationaux et internationaux ayant su anticiper les évolutions présentes et futures du secteur. En résulte, aussi, une propension des clientes à passer d’une marque à l’autre, selon les tendances et prescriptions du moment (de célébrités, de blogueuses, d’utilisatrices de forums de mode) avec, pour conséquence, une moindre fidélité des clientes pour les marques et enseignes de l’habillement.
Au fond, dès le début de l’avènement du Web 2.0 et du e-commerce, la pertinence de la sacro-sainte dichotomie entre le magasin physique et le digital était, en fait, toute relative : ce n’est pas le commerce en ligne à lui seul qui a conduit les clientes et les clients à ne plus se rendre en magasin mais, surtout, l’incapacité dudit magasin à se différencier, aussi bien dans son identité que dans son offre, et à écouter sa clientèle, qu’elle s’exprime en direct, dans le lieu d’achat, ou sur Internet, sur les blogs et forums, puis, à partir de la fin des années 2000, sur les réseaux sociaux.
Cette révolution, certains l’avaient anticipée…et d’autres pas. Avec les conséquences passées et actuelles que l’on sait sur le secteur de la mode.