Librairies de Bande-Dessinée en France : une dynamique de vente remarquable depuis 2019.
La librairie Mille Sabords est installée rue du Palais, à La Rochelle, depuis plus de 30 ans.
Au lendemain de la 51e édition du Festival de la Bande Dessinée d’Angoulême, le moment est venu de nous pencher sur la vitalité des librairies de BD. L’occasion de parler de ces lieux graphiques uniques, où passionnés et néophytes aiment en prendre plein les yeux, et de mieux comprendre les deux années post-covid exceptionnelles dont le marché a bénéficié, grâce au succès des mangas que les jeunes Français ont dévorés en grand nombre.
1,4 millions. C’est le nombre d’exemplaires de BD / Mangas que les Français ont acheté chaque semaine en 2023.
Comme chaque année, GfK | a NielsenIQ company vient de révéler les données clés du marché Bande-Dessinée / Manga, en partenariat avec le Festival d’Angoulême.
Les Français ont acheté plus de 75 millions de titres neufs en 2023 (-11%) générant un chiffre d’affaires de 877 millions d‘euros (-5%), tous circuits. « Les résultats 2023 sont en recul généralisé sur tous les univers BD-Manga. Cependant, nos historiques permettent de rappeler les dynamiques des ventes remarquables en 5 ans : le marché affiche +55% en nombre d’exemplaires entre 2019 et 2023 », explique Casseline Rosello, consultante GfK Livre. Une baisse à relativiser. Et qu’il convient d’expliquer.
2023 : l’heure du bilan.
De belles sorties ont dynamisé le top 2023. « Parmi les succès de cette année figurent le dernier album d’Astérix, « L’Iris blanc », « Le Retour de Lagaffe », « L’Art de la guerre du duo Black et Mortimer » ou encore « Le Voyage de Shuna » d’Hayao Miyazaki, sorti en parallèle de son dernier film « Le Garçon et le héron », résume Matthieu Dargenton, libraire chez Mille Sabords, à La Rochelle. De belles surprises ont également marqué cette année 2023 avec « Histoire de Jérusalem » de Vincent Lemire et Christophe Gaultier et l’album « Testosterror » de Luz. »
En 2023, la BD Jeunesse a été la seule à afficher une hausse de ses ventes par rapport à 2022, avec +7% et 17,2 millions d’exemplaires achetés. « Cette hausse est portée cette année par les nouvelles aventures de deux stars des bibliothèques françaises : Astérix le Gaulois et Gaston Lagaffe » confirme GfK | a NielsenIQ company.
Le genre BD Documentaires/Non-Fiction ((journalisme, vulgarisation, transmission de connaissances politiques, scientifiques…), dont les Français sont devenus friands, a augmenté de +68% en nombre d’exemplaires par rapport à 2019. « Le Monde sans fin » de C.Blain / JM.Jancovici est toujours en tête des ventes du segment, suivi par « Histoire de Jérusalem ». « C’est le 6e rayon que j’ai créé l’an dernier pour compléter la BD jeunesse, la BD adulte, le Manga, le Comics et le roman graphique et il est déjà archi plein », indique Jérôme Briot, La Planète Dessin dans le 6e arrondissement de Paris.
En 2023, un tassement des ventes de BD a été enregistré. Mais avec un marché qui affiche +55% en nombre d’exemplaires entre 2019 et 2023, les librairies de BD resteront largement gagnantes si l’année 2024 se stabilise. Une vitalité d’autant plus durable qu’elle semble reposer sur « un phénomène de fond pour cette génération de lecteurs très sollicitée par les écrans, les actualités, les informations… et qui a peu de temps à consacrer à la lecture, selon Jean-Pierre Nakache, président de Canal BD et propriétaire des trois librairies parisiennes Bulles en tête. Le format BD est parfait. »
2023… après une période « invraisemblable » !
Si le marché de la BD s’est malgré tout bien porté en 2023, il faut prendre le temps de revenir sur les deux années post-covid EX-CEP-TION-NEL-LES.
La crise sanitaire du Covid, qui a contraint une grande partie de la population française à se confiner, a en effet eu un impact extrêmement fort sur le chiffre d’affaires des librairies de BD. + 40% en deux ans. « Une période incroyable sur un marché censé être mûr, où la tendance était depuis plus de 20 ans de – 1 à +2 tous les ans, explique Jean-Pierre Nakache. Les BD ont surperformé très largement dans le marché de la librairie, et quasi exclusivement le marché du manga ».
Pendant 10 ans, en France, les ventes de volumes de mangas ont en effet tourné autour de 14 millions, se stabilisant peu à peu. Un petit redémarrage a été observé juste avant le Covid, avec l’arrivée de nouvelles séries.
En 2020, malgré la fermeture des librairies, 18 millions de volumes de BD/mangas sont vendus, soit une hausse de 20% par rapport à l’année précédente.
En 2022, 43 millions de volumes sont vendus. « Invraisemblable ! se souvient Jean-Pierre Nakache. Ce phénomène a été observé au niveau mondial, sur tous les marchés qui lisent du manga. Les USA ont connu +170 % de progression de vente de mangas ».
Le succès du manga après 40 ans de domination japonaise dans le domaine audiovisuel.
Le manga représente toujours plus d’une BD vendue sur deux, même si les ventes ont connu une baisse de -18 % par rapport à 2022, soit près de 40 millions d’exemplaires vendus.
Comment expliquer cette progression du marché de la BD/Manga durant les 5 dernières années ? « Durant la période du Covid, les ados et jeunes adultes ont beaucoup regardé de séries animées, qu’ils ont ensuite eu envie de lire en mangas, analyse Matthieu Dargenton, libraire chez Mille Sabords, à La Rochelle. C’est la culture asiatique dans son ensemble qui est devenue à la mode et qui les attire depuis : le manga japonais mais aussi la BD coréenne, les Webtoon… »
Pour Jean-Pierre Nakache, « le succès du manga plus particulièrement lié au Covid, repose sur la génération de jeunes qui ne lit plus du tout de BD franco-belge. Ceci s’explique par 40 ans de domination japonaise dans le domaine audiovisuel. Les lecteurs retrouvent en manga ce qu’ils regardaient lorsqu’ils étaient petits ».
Le service et l’accompagnement : les atouts des librairies de BD indépendantes.
Ces dernières années, les librairies de BD n’ont pas seulement augmenté leur rayon manga. Elles ont su, plus globalement s’adapter à l’évolution du lectorat pour que chacun s’y sente bien. « Nous sommes passés entre 30 ans d’un lectorat très homogène, très restreint, d’une clientèle 100% masculine, plutôt diplômée, qui lisait de la bande dessinée de genre (modèle de la BD franco-belge,) à l’ensemble de la population française, remarque Jean-Pierre Nakache. Pour la première fois depuis 2 ou 3 ans, plus de 50% des actes d’achats dans nos librairies sont faits par des femmes, qui lisent beaucoup de romans graphiques et en offrent autour d’elles ».
Les librairies de BD sont bien souvent des lieux où les clients aiment passer du temps, assister à une séance de dédicace, participer à un atelier, profiter d’une exposition … Des lieux vivants où les clients savent qu’ils vont trouver un conseil personnalisé. « Ma librairie La Planète Dessin se situe juste à côté de la FNAC, raconte Jérôme Briot. D’aucuns pourraient penser que c’est une mauvaise idée mais se retrouver dans l’ombre d’un grand magasin comme celui-ci, qui crée des flux importants, est plutôt judicieux. Grâce à la loi Lang de 1981 relative au prix unique du livre, il est possible pour un libraire indépendant de se démarquer par le service et l’accompagnement ».
Mille sabords, librairie ouverte il y a 35 ans à la Rochelle, sait aussi créer l’événement régulièrement pour attirer du monde. Le lieu a su également se démarquer en devenant spécialiste de Tintin. On peut en effet y acheter des figurines et des BD que l’on ne retrouve nulle part ailleurs. « Nous vendons aussi beaucoup de figurines de mangas et Comics ainsi que des produits dérivés, ajoute Matthieu Dargenton. On vient aussi chez nous comme dans une boutique musée, pour l’effet WAOUH de tout ce qui est exposé. »
La force de l’esprit coopérateur Canal BD.
Aujourd’hui, plus une librairie ne se crée en France sans demander à rejoindre … Canal BD. La société coopérative réunit 159 librairies de Bandes-Dessinées en France et plus exactement les créateurs hommes et femmes qui sont à l’initiative des projets. « Nous sommes meilleurs à 159 que seuls, et le modèle coopératif nous permet d’accompagner les petits libraires comme les plus expérimentés, commente Jean-Pierre Nakache, président de Canal BD depuis 2021. Nous œuvrons pour permettre à un maximum de Français de pousser la porte d’une librairie indépendante à proximité de chez eux ».
Après avoir concentré ses efforts pendant de nombreuses années sur « la cuisine interne », pour structurer les relations avec les diffuseurs et les distributeurs ou encore doter les librairies d’outils de gestion comme le développement de l’observatoire des ventes, l’enseigne Canal BD se tourne désormais vers le grand public, pour se faire davantage connaître. « Le challenge sera de réussir à mener cette transformation tout en préservant l’état d’esprit coopérateur et le respect de l’indépendance de chacun des libraires ! » conclut Jean-Pierre Nakache.