La seconde main : une révolution polymorphe et durable, selon Marjorie Biawa.
© Marjorie Biawa
Experte de la seconde main, Marjorie Biawa accompagne de nombreux acteurs dans la mise en place d’une stratégie circulaire jugée indispensable… et urgente. Elle nous livre son regard sur cette nouvelle économie qui révolutionne le retail.
Racontez-nous votre histoire et votre parcours …
Baignée dans l’univers du commerce depuis petite, j’ai consacré mes week-ends à vendre des rouleaux de tissus sur les étals des marchés. J’ai toujours su que mon destin était étroitement lié à l’industrie textile.
J’ai occupé pendant 5 ans le poste d’acheteur pour yoox.com, un pionnier de l’e-commerce haut de gamme. J’achetais du stock de marques de luxe, qui était revendu sur la plateforme. Cette première expérience m’a déjà permis de prendre conscience des problématiques de surproduction inhérentes à la mode et au luxe.
Par la suite, j’ai élu domicile en Suède, où j’ai travaillé pour le groupe H&M sur un projet de marketplace similaire. Baptisé AFOUND, cette marketplace, distribue les invendus du groupe ainsi que 2000 autres enseignes.
C’est en 2020 que je plonge dans la seconde main. Alors de retour en France et confinée dans ma chambre d’adolescente, je me mets à revendre tous les vêtements qui y trainent depuis des années. Je me rends compte que ce que je faisais pour moi-même peut servir aux autres. Je lance alors « Second Hand Agent », un service de conciergerie qui revend ce que vous ne portez plus. Rapidement, j’ai réussi à fidéliser 150 clients, mais j’ai aussi vite réalisé que ce modèle économique n’était pas viable.
J’ai commencé alors à partager mon expertise sur le marché de l’occasion sur LinkedIn, ce qui a suscité l’intérêt de nombreux professionnels. J’ai été invitée à participer à des ateliers de réflexion stratégique et à des journées d’exploration en compagnie de comités de direction.
Les retailers ont rapidement compris l’urgence de se positionner sur ce nouveau marché. Tout comme l’e-commerce a révolutionné l’industrie textile il y a vingt ans, la seconde main représente aujourd’hui une véritable révolution dans le commerce d’aujourd’hui.
Pour qui travaillez-vous aujourd’hui ?
J’apporte mon expertise à une grande diversité d’acteurs : des retailers, bien sûr, mais aussi des incubateurs, fédérations textiles, des organismes étatiques, des bailleurs sociaux commerciaux, des start-ups… Le tout en France, comme à l’étranger.
En ce début d’année, j’ai déjà participé à la mise en place d’un pop-up store responsable dans le 2Eme plus gros centre commercial de France ou encore d’un marché de la seconde main pour la Foire de Lyon, 1er évènement de la Région Auvergne Rhône-Alpes.
Quelle est la demande des acteurs du retail qui vous contactent ?
Ils cherchent en majorité à percer les secrets du succès de la seconde main et, surtout, à déterminer ce qui est réellement rentable : est-ce l’e-commerce ? Le retail ? Plus généralement, peut-on adopter une approche omnicanale dans le domaine de l’occasion ?
Les retailers savent qu’ils n’ont plus vraiment le choix : ils doivent se positionner sur ce marché, et tout de suite. Ils doivent anticiper les divers défis auxquels ils seront confrontés : logistique, communicationnel. N’oublions pas que la seconde main évolue vite ! Vinted est aujourd’hui le 4e site le plus visité en France. Il n’était même pas dans le top 100 il y a 5 ans ! Et actuellement 1 vêtement sur 5 acheté est un vêtement de seconde main.
On est loin de parler d’une micro-tendance qui va disparaître dans quelques années. La seconde main est une vraie tendance de fond.
Il y a également un vrai enjeu de fidélisation. De nos jours, de plus en plus de consommateurs adoptent spontanément le réflexe de se connecter à une plateforme d’occasion afin de vérifier si le produit qu’ils recherchent est disponible, avant même de se rendre en magasin. Les retailers souhaitent également s’adapter à cette nouvelle habitude.
Alors, quelle serait la bonne marche à suivre ?
Avant de se lancer, il est essentiel de réaliser une évaluation des aspirations de l’enseigne sur le marché de la seconde main. Certaines veulent monter des projets en 3 mois, dans le seul but de pouvoir le revendiquer à leurs communautés. Ces essais se révèlent tous être assez contre-productifs.
Il est également primordial de prendre un temps d’analyse sur le profil du client de seconde main. Il peut différer du profil type du client habituel de l’enseigne. Le marché de la seconde main est unique car deux types d’acteurs s’y côtoient constamment : ceux qui achètent des produits d’occasion et ceux vendent leurs produits d’occasion. Quel type de client sera attiré par le projet seconde main du retailer ? Quelles sont ses habitudes d’achat ?
Enfin, il est indispensable de mener une étude des capacités logistiques du retailer. Est-il préférable d’externaliser ou d’internaliser pour avoir vraiment la main sur son concept ?
Quel est le conseil que vous donnez le plus souvent aux retailers qui souhaitent bâtir une stratégie circulaire autour de la seconde main ?
Qu’il s’agisse de mettre en place un corner seconde main en magasins ou un onglet dédié en ligne, il sera très difficile de voir ce projet décoller si les équipes opérationnelles n’y croient pas.
Il est essentiel de les embarquer, de les rassurer, de remporter leur adhésion.
Cela peut par exemple passer par une journée de conférences diverses sur la circularité, avec des talks inspirants d’experts. Il reste encore beaucoup à faire pour démystifier ce nouveau marché.
Enfin, le projet mené doit correspondre aux valeurs du retailer, à son ADN perçu sur le marché de la mode.
Quel est votre regard sur l’émergence de cette nouvelle économie ?
De mémoire de professionnelle, je n’ai jamais vu autant d’acteurs se lancer de manière aussi concrète dans une nouvelle économie. Il y a deux ans à peine, seuls 20% des acteurs mode en France songeaient à la seconde main. En 2023, près de 35% d’entre eux ont déjà lancé leurs projets. Il est désormais évident qu’il n’y aura pas de retour en arrière. Un Français sur deux a acheté un produit d’occasion durant ces 12 derniers mois ! Nous assistons à une révolution polymorphe et durable. Et passionnante.