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Seconde main : « Observer la bascule et la raconter dans toute sa complexité », Maurane Nait Mazi, Consomme Moins Consomme Mieux.

CMCM
Maurane Nait Mazi, fondatrice de Consomme Moins Consomme Mieux © CMCM

Un média entièrement dédié à la seconde main ? C’est l’ambition de CMCM, un projet inédit en France, lancé en janvier 2023, par William et Maurane Nait Mazi. Entretien.

 

A l’origine du média CMCM, une grande passion… et des questionnements sur le sujet. Pouvez-vous nous raconter comment tout a commencé ?

 

Maurane Nait Mazi : La seconde main est un sujet qui me passionne. A titre personnel, car je ne consomme presque plus de produits neufs. Aussi, j’ai enseigné le droit de la consommation à l’Université et dernièrement le droit de la vente aux enchères, une matière riche. 

La pratique existe depuis aussi longtemps que les objets existent mais elle se transforme et de nouveaux acteurs se positionnent sur le marché.

Si elle est revenue sur le devant de la scène, elle est souvent présentée dans l’actualité – ce qui est une bonne chose – de façon légère, superficielle, ce qui en est une moins bonne. Assimilée à une tendance ou abordée sous l’angle du prix avec l’idée de « bon plan ». La seconde main est bien plus que cela. 

Voir la seconde main maltraitée et réduite aux mêmes enjeux me hérisse. Ce traitement de l’information cache une complexité et une économie de la seconde main, souvent de la revente, que l’on ne pense pas dans sa globalité. Et seulement une petite poignée d’acteurs – toujours les mêmes – est interrogée. Une trop grande partie est invisibilisée.

L’approche du sujet doit être systémique. Le sujet est plus complexe qu’il ne laisse croire. Mon souhait dans CMCM est de présenter les enjeux de cette économie, ses nouveaux usages, nouveaux modèles, ses impacts, et faire rayonner le panel d’acteurs qui la compose, force de solutions.

 

Dans Consomme Moins, Consomme Mieux, on peut donc lire des entretiens, des actualités sur la seconde main. Et bientôt des enquêtes. 

 

M.NM : CMCM est un clin d’œil au « consomme moins consomme mieux », largement diffusé sans vraiment savoir comment faire. Ce slogan doit également se traduire dans le sujet de la seconde main. 

Au lancement du média, le choix a été de se concentrer sur les représentations avec un format portrait. Pour rencontrer des acteurs, les montrer, les comprendre ainsi que leurs besoins. Il y a tant des portraits de professionnels que de consommateurs et d’usagers de la seconde main. Pour mettre en lumière la dimension spéculative, le côté plus minimaliste, les reconversions aussi. « Je quitte la fast fashion et je lance ma friperie » ou encore des entrepreneurs en devenir développant des outils tech.

Progressivement, le média ajoute à son arc le décryptage de nouveaux usages et modèles d’affaires. 

Je perçois que nous sommes au début d’un changement et j’aimerais inscrire le média dans cette bascule pour la raconter et inspirer le changement.

 

A qui s’adresse CMCM ?

 

M.NM : Le média s’adresse à deux types de publics. Le premier est en quête de solutions à inclure dans son quotidien, en quête de sa représentation du sujet aussi ; le deuxième est professionnel, en quête d’actualités et de décryptages de l’économie et des nouveaux usages.

Je ressens le besoin d’un acteur qui traite des problématiques du sujet avec le plus de précision possible, dans un contexte où dans un article sur deux il y a une confusion entre les notions de recyclage et de réemploi… Par exemple, pour la journée mondiale du recyclage, trop d’articles ont mis en lumière les friperies. Ces dernières réemploient et ne recyclent pas. Ce traitement médiatique du sujet brouille les représentations et agace les professionnels. La seconde main n’a rien d’un déchet, elle se chérit plutôt qu’elle ne se jette !

 

Comment avez-vous acquis votre expertise sur la seconde main ?

 

M.NM : Je passe une très grande partie de mon temps au contact des professionnels du secteur, les acteurs historiques et les nouveaux, des experts et acteurs de l’économie sociale et solidaire, qui me plongent dans leur univers respectif, partagent leur vision et acception du sujet. Je dis souvent que la seconde main est un laboratoire.

J’opte par la force des choses cette première année d’activité pour un slow journalisme, ce qui me va bien, pour garantir une information pertinente et fiable. Nos activités vont s’intensifier prochainement et le média se transformer.

Car je peine à trouver une expertise journalistique sur le sujet, je forme actuellement des pigistes. De belles signatures arriveront bientôt.

Je suis, par exemple, vigilante aux allégations pour ne pas tomber dans le greenwashing, et mon co-fondateur qui travaille sur les enjeux environnementaux est une aide précieuse sur le sujet. Il est impossible pour nous de travailler avec les dossiers de presse par exemple. Pourquoi ? Derrière « seconde main » se cachent des réalités et parfois des acteurs hybrides sans se présenter avec cette qualité qui surfent sur « la tendance » pour vendre des produits déstockés. Certaines plateformes, estampillées « 100 % seconde main », proposent principalement des produits neufs. C’est une fausse promesse et elle n’est pas à la marge depuis quelques mois.

Avoir une vision systémique dans une économie qui fait peau neuve est un défi. Questionner le sujet est primordial. Les maîtres mots : travail de terrain et vigilance.

 

Quel regard portez-vous sur la manière dont le retail se saisit de la seconde main ?

 

M.NM : Le retail et la seconde main c’est plutôt nouveau dans l’histoire de la seconde main. Les acteurs tâtonnent pour intégrer cette typologie de produits. Ce sont les modèles d’affaire qui doivent être revus pour ne pas présenter la seconde main comme une proposition « vitrine ». 

 

La seconde main est une opportunité pour tous les acteurs de se réinventer et faire face aux défis économiques, sociétaux et environnementaux. Je ne serais pas étonnée de voir dans cinq ans une boutique sur deux proposer presque exclusivement de l’occasion, le public est en demande d’alternatives, les acteurs s’unissent pour offrir de nouveaux services.  Le e-commerce lui aussi va trouver son public grâce à l’adoption de nouveaux modèles. 

Je prépare un ensemble d’articles sur les transformations dans le retail et notamment la place de la seconde main au centre commercial.

 

Pourquoi considérez-vous que présenter la seconde main comme une solution est faux ?

 

M.NM : Je défends la seconde main comme solution. Malheureusement, nos usages (comme la surconsommation de produits) et les enseignes de fast fashion nous font tomber du côté obscur de la force avec la seconde main. 

Les nouveaux services dits circulaires développés par les marques de mode jetable n’intègrent pas dans leur modèle d’affaires l’économie circulaire. La seconde main gadget, c’est contre elle que je me bats.

 

La seconde main peine à trouver son modèle économique. Au regard des synergies que je décèle et des réflexions stimulantes, je peux dire que la grande majorité des acteurs de la chaîne de valeur sont déterminés pour transformer l’économie et installer la seconde main au cœur des débats et de nos usages.