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Sophie Engster, La Chambre Concept Store. « Se positionner sur le made in france ne suffit pas, il faut également construire une vraie identité de marque. »

Sophie Engster
Sophie Engster, directrice générale de Chamberlan

En 2023, Sophie Engster, directrice générale de Chamberlan a ouvert La Chambre Concept Store dans le 1er arrondissement de Paris. Un lieu innovant et inspirant, entièrement dédié à la mode durable, qui propose une sélection de marques premium inscrites dans une démarche éthique, avec comme objectif de promouvoir une autre vision du vêtement.

 

Fortement accélérée ces dernières années par les plateformes de e-commerce, la mode durable se développe de plus en plus dans le commerce physique, notamment grâce à l’apparition de nombreux concept-stores spécialisés dans la seconde main, le made in France, la location… Cette évolution permet aux retailers de créer un lien plus étroit avec les clients et de mettre plus avantageusement en avant les propositions des marques. Toucher les pièces, savoir comment elles ont été fabriquées, avec quels matériaux et dans quelles conditions, pouvoir discuter avec les vendeurs, est indéniablement un atout pour favoriser les pratiques vertueuses. Le chemin est cependant semé d’embûches. Explications avec Sophie Engster.

 

Comment est née La Chambre Concept Store ?

 

Après avoir passé dix ans chez LVMH,  au sein des départements marketing de Gienchy et de Dior, je suis partie en 2015 pour créer une marque qui s’appelle Chamberlan avec Franck Le Franc, mon associé. Je voulais travailler sur une mode plus responsable en proposant un modèle de fabrication de chaussures pour femmes à la demande. Nous confectionnons du prêt à porter personnalisable et du sur-mesure. Nous avons notre propre atelier dans le Périgord, à Saint Martial de Valette. Nous n’avons aucun stock, ce qui évite le gaspillage. Nous n’avons pas ce problème de soldes en fin de saison, pour écouler ce qui n’a pas été vendu et pouvoir produire à nouveau.

 

Très vite, nous avons constaté que les clients entendaient parler de nous dans la presse. C’est pour cette raison que nous avons ouvert un concept store, qui, dans un premier temps, n’était que pour Chamberlan. Peu de temps après, l’idée d’accueillir d’autres marques partageant les mêmes valeurs que nous est apparue. Des marques qui produisent en France ou en Italie, et qui s’inscrivent dans la location, la seconde main, la durabilité… Nous avons commencé avec The Ethiquette. Aujourd’hui, nous avons dans notre catalogue The Kinsei shop, MaisonCléo, Françoise, Bygone Days, Maitrepierre, Pallas Paris, Vintage Operandi, Nina Zamzem, Les Inconnus, Hypso, Treaptyque, Vaincourt, Mazarin, Petitjean, et Quintessence Paris.

 

Qui sont vos clients ? Est ce qu’ils sont sensibilisés à l’écologie ?

 

J’aimerais pouvoir dire qu’ils viennent pour la circularité de nos offres. Pour le moment, c’est surtout parce qu’ils aiment bien une pièce. Le style est très important. Se positionner sur le made in france ne suffit pas,  il faut également construire une vraie identité de marque, avoir des propositions fortes. Nos clients sont cependant très contents de favoriser une fabrication responsable. Ils cherchent une alternative pour acheter autrement. Ce n’est pas si simple quand l’essentiel de la mode est fabriquée dans des pays à bas coût. Quand on veut acheter responsable, il n’y a pas grand chose d’original. Ce sont pour l’essentiel des vêtements extrêmement simples, basiques.

 

Beaucoup d’enseignes se sont lancées sur ce créneau, avec des produits en fibres naturelles, mais sans pour autant produire localement.  Est-ce que ce n’est pas une forme de greenwashing ?

 

C’est le cas. En sachant que ce qui pollue le plus dans la mode, c’est l’énergie qui est consommée pour la fabriquer et pour la transporter,  qui est la plupart du temps carbonée. Utiliser des fibres naturelles n’est qu’une partie de l’équation. Il faut également produire à proximité du consommateur.

 

Nous faisons cependant  très attention aux matériaux que nous utilisons et que nous proposons. Les cuirs alternatifs, conçus à partir de raisin ou de pomme; ne sont pas aussi vertueux qu’on pourrait le penser car il faut beaucoup de pétrole pour les fabriquer. C’est pour cette raison que nous avons choisi de rester sur du cuir naturel, français et italien. Actuellement, nous cherchons à améliorer notre sourcing pour réduire notre impact. Il y a un gros travail à faire sur ce point, pour s’assurer que les matières, les tissus, les matériaux sont bel et bien vertueux. Et ce n’est pas toujours évident de démêler le vrai du faux.

 

Est-ce que vous connaissez la différence d’empreinte carbone qui existe entre ce que vous proposez et un produit qui ne prétend pas être écologique ?

 

Non, mais j’ai déjà vu des marques qui calculaient le coût de l’énergie carbonée et du transport de leurs produits. Il faudrait que nous le fassions. L’autre impact que nous pouvons avoir, c’est que nous faisons un gros travail en ce moment sur la durabilité de nos offres, pour aller encore plus loin et faire toujours mieux. C’est là ou nous avons tous un rôle à jouer. Fabriquer dans des conditions responsables en France va dans la bonne direction, mais il faut s’assurer que les vêtements ou les chaussures puissent tenir le plus longtemps possible, et ne s’usent pas rapidement. Il faut aussi que les marques puissent les réparer localement, sans devoir les renvoyer à l’autre bout du monde. C’est ce que Chamberlan fait. Par ailleurs, pour toucher plus de consommateurs, il faut aussi que le produit durable garantisse le même niveau de qualité et de confort qu’un produit standard. C’est un point essentiel.

 

Quand on parle d’écologie, il y a souvent une dimension punitive, se restreindre, moins acheter, moins voyager…  Est ce qu’il ne faut pas travailler sur la désirabilité des produits durables ?

 

Je pense que c’est très important. Les jeunes créateurs, ceux et celles qui ont 25 ou 30 ans, s’inscrivent dans cette démarche. Aujourd’hui, si les produits responsables sont chers, il faut savoir que les marges sont très faibles, alors que les marques les plus célèbres, celles qui ne sont pas dans une démarche écologique mais qui ont un rayonnement mondial, pratiquent des coefficients dix.

 

Est ce que c’est une question de volume?

 

Oui, bien sûr, mais pas uniquement. Il y a aussi le fait que fabriquer dans des conditions responsables coûte plus cher. Il n’est donc pas possible d’appliquer le même coefficient, sinon les prix seraient trop élevés. Notre démarche consiste à proposer un tarif cohérent. Mais évidemment, nous subissons de plein fouet la concurrence de ce que j’appelle les esclaves du textile, qui travaillent pour des salaires dérisoires et qu’on ne voit jamais.  Des gens à l’autre bout du monde, payés un dollar par jour, qui triment entre 12 et 14h, six jours sur sept. Il faut éduquer les consommateurs pour leur dire qu’un prix élevé signifie une juste rétribution. Personne n’est choqué quand un garagiste gagne 80 euros de l’heure…

 

Pour vendre un vêtement vertueux, écologique, éthique, il y a donc nécessairement la barrière du prix.  Dès lors, comment faire pour que la mode responsable puisse profiter au plus grand nombre ?

 

En face de ce que nous proposons, il y a du textile à des prix ridicules, mais qui est très accessible du coup, ce qui fait que beaucoup de consommateurs en achètent. Dans le passé, il n’y a pas si longtemps, les gens n’avaient pas autant de vêtements, donc ils pouvaient dépenser plus pour acheter une pièce. Ces 30 dernières années, il y a eu une véritable frénésie de consommation. Il faut revenir à des valeurs plus justes et plus responsables. Ce n’est pas possible de continuer à surconsommer des produits de mauvaise qualité.

 

Est-ce que la solution doit venir des marques ?

 

Je pense que oui. Parce que tant qu’ on continuera à proposer ce type de produit, il y aura des gens pour les acheter. Le problème, c’est que beaucoup de marques ne veulent pas renoncer à leurs marges. Il faudrait une prise de conscience plus large, soutenue par une vraie volonté politique.

 

Pour changer la donne, est-ce qu’il ne faudrait pas également accélérer la réindustrialisation de la mode ? Produire localement est un gage de souveraineté, de qualité et de moindre impact…

 

En effet, mais tout est une question de coût. Dans l’atelier de Chamberlan, nous avons des machines un peu anciennes et qui sont pourtant très chères. Les machines nouvelles sont, quant à elles, hors de prix. Rouvrir un atelier demande un investissement exorbitant. Il y a donc une barrière à l’entrée… Par ailleurs, atteindre la rentabilité est très compliqué. Il faut être capable de vendre des produits à des prix plus élevés que la moyenne. Il faut donc avoir la clientèle adéquate.

 

Selon vous, est-ce que l’aggravation du réchauffement climatique et l’épuisement des ressources pourraient faire monter en puissance la seconde main ?

 

Assurément. L’heure est à la circularité. Cependant, il faut que la matière de base soit de bonne qualité.  Il y a des gens qui vont en Afrique pour sonder les décharges de vêtements, tout ce qui a été jeté dans les pays riches et qui se retrouvent là-bas. Aujourd’hui, 80% de ces matériaux sont inexploitables car de trop mauvaise qualité, alors qu’auparavant, ce chiffre était beaucoup moins élevé. Du coup, personne ne veut de ces vêtements… Ils sont troués, usés, abîmés. Ils sont invendables.

 

Quels sont les projets à venir de La Chambre ?

 

Nous allons faire des évènements de façon beaucoup plus régulière… Des pop ups pour mettre en avant d’autres marques qui ne sont pas disponibles dans notre boutique, mais qui partagent les mêmes valeurs que nous. Par ailleurs, notre catalogue va s’étoffer avec des produits plus accessibles, avec de nouvelles enseignes responsables, innovantes et inspirantes. Nous aurons bientôt tous les niveaux de prix.

Cette interview est un extrait exclusif de notre nouvel ouvrage “Vers la fin du produit…et la fin du produit tout court ?” à paraître prochainement.

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