Transition écologique : pourquoi nous surconsommons et comment les acteurs du commerce peuvent nous aider à y remédier.
L’
impact des activités humaines sur le climat n’est à présent plus à démontrer. Alors que nous surconsommons depuis des décennies, avec les conséquences que l’on sait sur le climat et la biodiversité, il devient urgent de modifier nos habitudes d’achat pour faire de nous des consommateurs plus responsables. Du côté des clients, cela passe par un changement de conception du contentement, si ce n’est, du bonheur. Et cela ne se fera vraisemblablement pas (en tout cas, pas de manière généralisée) sans un changement profond de stratégie de la part des acteurs du commerce.
L’être humain est paradoxal. Et il semble qu’il ne l’ait jamais autant été qu’aujourd’hui. D’un côté, on érige la sobriété en remède pour lutter contre le réchauffement climatique et pour faire face aux conséquences économiques et sociales d’événements comme la crise sanitaire ou la guerre en Ukraine.
De l’autre côté, notamment sur les réseaux sociaux, on voit une glorification de cette conception du bonheur qui consiste à vouloir faire toujours mieux qu’autrui, à avoir une vie (en apparence) plus intéressante, plus épanouie, pour susciter l’admiration, si ce n’est l’envie. Pour beaucoup, cette admiration de l’autre passe par la richesse ou, plus précisément, par la preuve de cette richesse par l’image et par une mise en scène à la fois tapageuse et édulcorée de son quotidien. L’engouement de certains influenceurs pour la ville de Dubaï n’est d’ailleurs pas étonnant. D’abord parce qu’elle a l’avantage de préserver ses plus riches résidents de toute impôt (ou presque) : à quoi bon accumuler des richesses si l’Etat les “confisque” ? Mais aussi par le fait que là-bas, on peut tout faire, si tant est qu’on en a les moyens. Dubaï, c’est le bling bling et la démesure. Tout le contraire de la sobriété.
Un état perpétuel d’insatisfaction guidé par notre amour propre, selon les philosophes.
Pour autant, ces influenceurs néo-dubaïotes sont-ils plus heureux que le commun des mortels ? Et plus généralement, l’accumulation de richesses et, notamment, de biens de consommation, fait-elle le bonheur ?
Pour Épicure, dont la philosophie éthique est consacrée à la définition et à l’atteinte du bonheur, il n’en est rien. Le philosophe grec considérait que le bonheur résidait dans l’atteinte d’un double état de paix de l’âme et d’absence de douleur physique. Une fois cet état de bonheur atteint, “l’être vivant [n’a] plus à s’acheminer vers quelque chose qui lui manque, ni à chercher autre chose pour parfaire le bien être de l’âme et celui du corps” (Lettre à Ménécée, IVe siècle av. J.-C.). Ainsi, la recherche de l’assouvissement de certains désirs, qu’il nomme les “désirs vains”, par opposition aux désirs naturels et nécessaires, amènerait l’Homme dans un état perpétuel d’insatisfaction et l’éloignerait du bonheur plutôt que de lui permettre de s’en rapprocher.
Plus proche de nous, Giacomo Leopardi, poète et philosophe italien du XIXe siècle, estime que l’amour propre de l’être humain est sans limite, et provoque chez lui un désir de plaisirs qui, lui non plus, ne connaît aucune limite. »Or, tout plaisir, si intense et réel soit-il, a des limites. Donc, aucun plaisir n’est proportionnel ni égal à la mesure de l’amour que tout être vivant se porte à lui-même. Par conséquent, aucun plaisir ne peut le satisfaire.” Et “l’être vivant désire toujours plus, puisque par essence il s’aime sans limites” (Zibaldone, 1832)
Ainsi, telle une drogue à laquelle nous nous serions accoutumés, nous consommons toujours plus, afin d’assouvir un désir de plaisirs qui, une fois obtenus, peinent de plus en plus à nous satisfaire. Une drogue dont le moteur serait notre égo démesuré.
Une promesse de bonheur qui crée de nouveaux besoins.
En psychologie, cette propension au blasement de l’être humain quant au plaisir et, plus généralement, quant aux émotions fortes, a été décrite en 1971 par Brickman et Campbell, sous la dénomination d’adaptation hédoniste. Selon cette théorie, l’être humain tend toujours à revenir à un niveau de bonheur relativement stable, quels qu’aient été les événements positifs ou négatifs auxquels il a été confronté jusque là. Appliquée à l’accumulation de richesses et au désir de consommer, l’adaptation hédoniste stipule ainsi que, quand une personne gagne plus d’argent, ses désirs augmentent, empêchant un gain supplémentaire de bonheur.
Alors, si la richesse et la possession de biens ne font pas le bonheur, pourquoi notre société valorise-t-elle autant la surconsommation ? L’humain est un être profondément social. Il ne peut vivre sans l’autre, sans sa compagnie, sans échanger avec lui. À cette nécessité de socialisation, s’ajoute l’égo. Cet égo pousse l’être humain à se comparer à l’autre et — c’est inévitable— à le jalouser. Si l’on suit le raisonnement de Leopardi, notre amour pour nous-même nous pousse à suivre le mouvement, à consommer toujours plus pour satisfaire notre égo face à nos semblables, qui consomment eux aussi toujours plus…pour satisfaire le leur.
Évidemment, le marketing et la publicité, qui ont vu leur montée en puissance dans la seconde moitié du XXe siècle, y sont également pour beaucoup. Quoi de mieux que la promesse d’être heureux pour vendre des produits à des êtres en quête perpétuelle de bonheur ? Finalement, il n’y a pas meilleur que le marketing pour nous donner envie d’assouvir nos “désirs vains”. Apple en est le parfait exemple. Depuis des décennies, la marque à la pomme crée de nouveaux besoins chez le consommateur, plutôt que de satisfaire ses besoins existants, se constituant, par là-même, une communauté de centaines de millions d’Apple addicts, prêts à faire la queue durant des heures pour acheter le dernier Iphone en date, alors que le leur est en parfait état de marche.
Résister à la tentation de vendre des produits dont le client n’a pas besoin.
À l’heure où l’urgence climatique n’est plus à démontrer, inciter ses clients à la surconsommation, avec les conséquences qu’elle implique sur le climat, se révèle illogique et anachronique. Seulement, quand on gagne sa vie en vendant des produits, il est compliqué voire impossible de résister à la tentation de vendre des produits dont les clients n’ont pas forcément besoin.
Malgré tout, certains n’hésitent pas, au contraire, à inciter leurs clients à moins consommer. C’est le cas, par exemple, de Patagonia qui, dès 2016, encourageait ses clients à garder leurs vêtements plus longtemps et à les réparer si nécessaire, plutôt que d’en acheter de nouveaux. Sans aller jusque-là, d’autres acteurs, comme Costco, avec son club-entrepôt, ont simplement bâti leur modèle sur la fidélisation, plutôt que sur la consommation. Depuis quelques mois, un nombre croissant d’acteurs, à l’image de Greenweez ou de Selfridges, ont quant à eux choisi de se tourner vers des modes d’achat plus vertueux et durables, comme la location.
Dans un futur proche, il n’est pas insensé d’imaginer la généralisation de ces modes d’achat plus responsables, par le glissement vers un modèle économique du commerce qui ne repose plus sur la quantité de produits vendus, mais sur la satisfaction et le bien-être du client et l’éco-responsabilité.