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À quoi ressemblera le vêtement du futur ?

Biologique, circulaire, inusable, digitalisé, thermo-régulé…. Pour répondre aux enjeux de l’époque, le vêtement est en pleine mutation. Grâce à un vaste panel d’innovations, une véritable révolution est en train de prendre forme au cœur du textile. Encore peu visible, elle promet de transformer radicalement la façon de nous vêtir.

 

À l’heure où le réchauffement climatique gagne en intensité, il faut toujours en moyenne 3700 litres d’eau pour fabriquer un t-shirt, et environ 10 000 litres pour un jean selon les chiffres fournis par le Water Footprint Network. Et il faut toujours des chaînes logistiques étalées sur des dizaines de milliers de kilomètres pour transporter ces produits d’un continent à l’autre jusqu’aux points de vente, ce qui contribue fortement à l’augmentation des températures. Pour ne rien arranger, le polyester reste le matériau textile le plus utilisé, avec une présence dans 70% des fibres,  alors que ce dérivé synthétique du pétrole est particulièrement polluant.  Tout ceci fait que le secteur de la mode est responsable 10% des émissions de CO2 au niveau mondial selon l’ONU. Ce qui est beaucoup trop alors que le climat se dérègle de plus en plus vite.  Si la montée en puissance de la seconde main permet de corriger un tant soit peu le tir, décarboner le textile est devenu une nécessité. 

 

A l’autre bout du spectre, les recherches menées ces dernières années sur les « supertextiles » et les tissus intelligents laissent entrevoir un autre avenir,  celui de vêtements augmentés, digitalisés, protecteurs, capables de filrer la pollution ou d’être interactifs avec leur environnement pour s’adapter à situation particulière. A la croisée de ces deux tendances, à quoi ressemblera la garde-robe de demain ? 

 

Écologique, durable et circulaire

 

Pour remplacer le polyester, de nouvelles matières naturelles ont fait leur apparition depuis quelques années. C’est notamment le cas de la fibre de lait qui est particulièrement écologique puisqu’il ne faut que 2 litres d’eau pour produire un kilo de tissu. C’est le cas également  de la fibre de feuille d’ananas qui permet de fabriquer du cuir végétal. Plus intéressante encore est la fibre d’algue, fabriquée avec de la cellulose,  qui peut être produite en très grande quantité avec un impact réduit sur l’environnement pour fabriquer des textiles résistants et durables. A ce titre, une équipe de chercheurs de l’université américaine de Rochester  et de l’université hollandaise de Delft aux Pays-Bas a réussi à imprimer en 3D un matériau biologique à base de micro-algues très résistant et simple à produire, qui pourrait bien révolutionner l’industrie textile. C’est le premier tissu vivant, régénératif et entièrement biodégradable. 

 

Pour autant, l’innovation textile a encore beaucoup de chemin à parcourir pour arriver à un résultat entièrement écologique. « En tenant compte des volumes produits aujourd’hui, il est difficile d’imaginer des matières mieux disantes du point de vue environnemental pour couvrir l’ensemble des besoins que celles utilisées actuellement. Si on réduit les volumes produits, les matières issues du recyclage pourraient s’imposer. Elles doivent souvent être mixées avec des matières premières non recyclées. Les matières prometteuses d’un point de vue écologique peuvent être aussi bien sur le chanvre, le lin, l’ortie, mais la recherche et développement doit être renforcée pour améliorer leurs fonctions et leur accessibilité-prix. » explique Majdouline Sbai, sociologue spécialisée en environnement et vice -présidente du Fashion Green Hub. 

 

C’est pour cette raison que de nouvelles modalités circulaires, complémentaires à la mode bas carbone, sont en train de s’imposer pour arriver à un  fonctionnement plus vertueux. Ainsi, en 2019, la marque française 1083 a démontré qu’une production textile opérée entièrement en boucle, sans aucun rejet, aucun gaspillage, ni aucune perte, était possible. Le jean Infini, commercialisé par cette enseigne durable, est le premier denim entièrement fabriqué en matières recyclées, tout en étant 100% recyclable et consigné pour favoriser le réemploi du tissu. Ce modèle unique en son genre utilise un fil composé de bouteilles plastiques et de déchets marins, tandis que les boutons, les fils et les étiquettes sont dans la même matière que le denim afin qu’ils puissent être facilement réutilisés. Lorsqu’il est trop usé, les clients peuvent le renvoyer gratuitement à la marque et récupérer les 20 euros qui ont été consignés lors de leur achat. Le jean est alors retransformé en fil. Et la boucle est ainsi bouclée. 


La circularité et la seconde-main semblent être l’avenir de la mode car elles constituent un puissant levier à actionner pour faire baisser les émissions de CO2. « Demain, la personnalisation, le DIY, la retouche, la réparation créative viendront compléter ces offres qui feront davantage partie de l’activité des enseignes. » précise Majdouline Sbai. Pour autant, le moindre impact climatique n’est pas la seule évolution à venir. 

 

De la data dans la maille

 

Alors que la société se digitalise de plus en plus, difficile d’imaginer que le vêtement ne suive pas la même trajectoire. En 2015, le projet Jacquard, qui était né d’une collaboration entre Levi’s et la division ATAP (Advanced Technology & Projects) de Google, avait permis de créer des tissus intelligents reliés à un smartphone grâce à une application intégrée dans les fibres. Cependant, force est de constater que le vêtement connecté n’a pas envahi nos vies. A part quelques initiatives qui tiennent plus du gadget qu’autre chose, comme les jeans équipés d’un GPS,  la déferlante tant annoncée ne s’est pas produite. 

 

Cela ne veut pas dire que le digital ne va pas révolutionner le textile car le vêtement du futur pourrait être « augmenté » dans l’objectif de proposer une véritable valeur ajoutée. C’est dans cette direction que les équipes R&D de Ralph Lauren ont travaillé en inventant une veste qui peut devenir chauffante en hiver grâce à une encre carbone ultra légère et totalement flexible présente dans les fibres qui est contrôlée par l’application RL Heat. Dans le même registre,la startup Clim8 a commercialise une technologie qui intègre une série de « capteurs et un microprocesseur fournissant des analyses en temps réel, associées à des réglages personnalisés «  pour qu’un vêtement puisse rester en permanence à la température optimale.

 

Par ailleurs, la digitalisation de la fibre permet d’envisager une autre modalité, celle du vêtement comme média. En 2012, la marque anglaise CuteCircuit, spécialisée dans les « wearable technologies », avait créé la première « robe Twitter » qui permettait d’envoyer et de recevoir des tweets en tapotant sur le tissu grâce à un réseau de Leds connectés en wifi. Récemment, Adobe a dévoilé le projet Primrose, une robe interactive qui fonctionne comme un écran souple capable d’afficher du contenu créé avec Adobe Firefly, Adobe After Effects, Adobe Stock et Adobe Illustrator sur toute sa surface, et  de changer de couleurs et de design en une fraction de seconde grâce à un revêtement électroactif. composé de cristaux liquides. 

 

Autre tendance forte, le vêtement du futur aura également une dimension médicale et pourra mesurer en temps réel l’état de santé de son porteur grâce à des capteurs souples intégrés dans les fibres. C’est déjà le cas avec le e-textile mis au point par la startup Accyourate qui peut monitorer sept signaux vitaux, notamment la tension artérielle, le rythme cardiaque, la température corporelle, ou le niveau de stress. Grâce à  l’analyse des données, cette technologie permet une acquisition continue et précise des paramètres bio-vitaux qui peuvent ensuite être transformés en informations exploitables par des algorithmes, et prévenir ainsi d’éventuelles maladies. Un cran plus loin dans l’avenir, des scientifiques japonais de l’université de Tōhoku ont inventé une fibre microélectronique capable d’analyser « les électrolytes et les métabolites de la sueur » pour surveiller les signaux physiologiques vitaux et identifier un potentiel problème de santé.  

 

L’ère du vêtement protecteur

 

Dans un avenir proche, la multiplication des canicules et des phénomènes météorologiques extrêmes nécessiteront des tenues capables de protéger leur porteur de conditions climatiques défavorables, et notamment des fortes chaleurs. A ce titre, dès 2013, la marque Damart avait mis au point la première fibre bioactive auto-rafraîchissante. Cette technologie « thermo-régulée », qui fonctionne grâce à des microcapsules qui libèrent un liquide refroidissant dans les fibres quand la température augmente, permet d’imaginer la tenue bioclimatique de demain, adaptative en fonction de la chaleur. 

 

Autre inflexion notable, dans un monde qui sera de plus en plus saturé en dioxyde de carbone, les dispositifs anti-pollution pourront permettre de respirer un air sain grâce à un système de filtration multi-couches directement intégré au tissu. C’est ce que propose déjà la marque Respro avec une gamme d’écharpes et de masques purifiants Un cran plus loin, R-Pur a mis au point des masques équipés de huit couches de filtrations qui peuvent arrêter des particules toxiques d’une taille microscopique de 20 nanomètres.

 

Ce n’est cependant que la pointe émergée de l’iceberg car la révolution des « supertextiles » promet l’invention de vêtements qui seront une véritable coque protectrice. Ainsi, la technologie Armalith, un « polyéthilène à ultra haut poids moléculaire » développé dans le cadre de la recherche spatiale, qui est « obtenu par l’assemblage breveté d’une fibre de coton avec une fibre de renforcement haute performance » a permis de produire le  jean le plus solide au monde pour résister aux abrasions et parer les chocs. Plus impressionnant encore, une technologie mise au point par des chercheurs du MIT dans le cadre du projet d’exosquelette militaire T.A.L.O.S. (Tactical Assault Light Operator Suit) durcit automatiquement le textile pour qu’il puisse résister à tout type d’impacts, même les plus violents, grâce à des fluides pouvant devenir solides au contact d’un champ électro-magnétique. 

 

Le vêtement du futur est encore en devenir. Il est en train de prendre forme grâce à une série d’innovations de rupture qui vont entièrement transformer la mode dans un avenir proche, mais aussi grâce à la réappropriation de matériaux naturels qui étaient utilisés dans le passé. Il porte en lui la promesse d’ une nouvelle manière de s’habiller,  mais aussi d’une rénovation complète de la chaîne de valeur de l’industrie textile.