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[Interview] Intelligence, proximité, durabilité et résilience : les villes de demain selon Arnaud Pagès.

© DR

Dans son ouvrage Villes de demain – sorti en novembre aux éditions Michel Lafon, le journaliste Arnaud Pagès décrit ce à quoi ressembleront les villes dans un futur proche : des villes transformées en écosystèmes durables, intelligents, ultra-connectés et automatisés, produisant une large part de leur propre nourriture.

Au cœur de ces cités sobres et résilientes, dans lesquelles nature et biodiversité auront retrouvé leur place, un commerce tourné vers la proximité, la circularité et la production locale.

Interview.

Pouvez-vous tout d’abord nous en dire un peu plus sur votre parcours ?

Arnaud Pagès, auteur de Villes de demain
Arnaud Pagès © DR

Je suis journaliste depuis plus de vingt ans. Il y a une dizaine d’années, je me suis spécialisé dans les sujets qui touchent principalement à l’innovation et à la transition écologique. J’ai notamment collaboré avec Usbek & Rica, Slate, et notamment sur la verticale Korii dédiée aux nouvelles technologies, ou encore avec l’Atelier BNP Paribas. Je suis actuellement rédacteur en chef indépendant à L’ADN.

Comment avez-vous eu l’idée d’écrire sur la ville et, plus précisément, sur son futur ?

Au cours de mes différentes collaborations, j’ai beaucoup écrit sur la ville, sous tous les angles : aménagement du territoire, construction durable, digitalisation, végétalisation… Ce sujet m’intéresse tout particulièrement. Par ailleurs, il se trouve que dans le cadre de ma fonction actuelle, j’ai pris en charge le livre de tendances de L’ADN, qui porte un regard prospectif sur les différents secteurs économiques et, plus largement, sur la société. Ce travail m’a amené à appréhender ce qui se passera demain, alors que jusqu’ici, je m’étais plutôt concentré sur le présent.

Quel a été votre parti pris éditorial ? À qui Villes de Demain s’adresse-t-il ?

L’idée première a été de créer un livre inspirant et accessible, que mes fils puissent lire ! Il n’était pas question de proposer un ouvrage qui ne puisse être appréhendé que par des experts et des professionnels du sujet, tels que les urbanistes par exemple. J’ai souhaité démocratiser le sujet auprès du plus grand nombre. Il faut inspirer les gens ! C’est pourquoi j’ai aussi eu à cœur de proposer un ouvrage positif. Il est évidemment important d’alerter les populations sur les risques inhérents au réchauffement climatique, mais il ne faut pas oublier de les inspirer en leur montrant qu’il existe des solutions.

© Enki Bilal

Le livre décrit ce à quoi ressembleront les villes dans un futur proche. À quel horizon situez-vous ce futur proche ? À deux, cinq, dix ans ?

L’absence de date précise est, en fait, volontaire. Les transformations décrites dans le livre sont actuellement à l’œuvre, chacune étant à un degré de maturité différent. Plutôt que de dater ces évolutions, il s’agit davantage de présenter les changements en cours et d’en dégager la tendance générale qui dessinera la ville de demain.

Il y a un rapprochement clair entre l’innovation technologique et le “green” dans le livre. Beaucoup considèrent la technologie comme le principal levier de lutte contre le réchauffement climatique. Quelle est votre opinion sur le sujet ?

Ce sont surtout la sobriété et la transformation du modèle urbain qui feront la différence… Avec l’émergence de villes plus résilientes, plus nourricières, à travers le développement de l’agriculture urbaine notamment. Dans ce contexte, le numérique apporte un vrai plus car il permet de faciliter la transition vers une ville plus sobre et plus durable : monitoring des émissions, analyse des données, optimisation des consommations énergétiques… 

Un réchauffement global de trois à quatre degrés aura des conséquences catastrophiques. Il ne s’agit pas tant de la hausse des températures en elle-même. Les canicules sont, du reste, déjà plus précoces et leur fréquence ne fait qu’accélérer. Le défi majeur à relever, au cours des prochaines années, sera de toute évidence le stress hydrique [NDLR pénurie d’eau]. La logistique mondiale étant étroitement dépendante des fleuves, le stress hydrique impacte d’ores et déjà les échanges commerciaux. Or, avec le réchauffement climatique, les conséquences du manque d’eau sur la logistique et les transports n’auront de cesse de s’amplifier, chamboulant drastiquement le business modèle de chaque maillon de la chaîne logistique et commerciale au niveau international. À cela, il faut aussi ajouter les problèmes d’accès à l’eau potable en ville, ainsi que l’insécurité alimentaire : le stress hydrique causera, à terme, une baisse significative – de l’ordre de 50% – du rendement des cultures. On connaît d’ailleurs déjà des pénuries directement liées au stress hydrique. C’est le cas, par exemple, de la pénurie de moutarde que nous avons connue cette année, qui était due, non pas à la guerre en Ukraine, mais bien à une période de sécheresse sans précédent subie en 2021 par le Canada, notre principal fournisseur de graines de moutarde. Dans un tel contexte, un changement de modèle pour aller vers plus de sobriété s’avère indispensable. Le numérique aura un rôle important à jouer dans cette transformation.

L’agriculture urbaine représente aussi, selon vous, un instrument important de lutte contre les pénuries alimentaires. Dans quelle mesure cet outil pourra se révéler efficace et quel est son stade de développement ?

Les experts disent qu’elle pourrait nourrir environ entre 15 et 20% des citadins, ce qui n’est pas négligeable dans un contexte de pénurie alimentaire. Son essor est important. Un nombre croissant de start-up spécialisées dans l’agriculture urbaine ont été créées ces dernières années. L’agriculture urbaine représente une réelle solution pour relever les défis alimentaires de demain. Cette pratique est d’ailleurs généralement encouragée par les municipalités. La ville recèle de nombreux endroits propices aux cultures, comme les toits terrasses, les parkings inoccupés, les bureaux vides, l’espace public… Surtout, l’agriculture urbaine est un levier majeur de transformation, notamment en matière de biodiversité. Lorsqu’on plante des végétaux en ville, cela fait venir des insectes, qui attirent leurs prédateurs…qui eux même attirent leurs propres prédateurs.

Agriculture verticale à Singapour © DR

La baisse drastique du rendement agricole ainsi que le développement de cette agriculture ultra-locale en ville ira forcément de pair avec une transformation du commerce, notamment alimentaire…

Sur le retail, on bascule progressivement d’une économie linéaire à une économie circulaire, avec une production beaucoup plus locale. La circularité est un levier clé de la transformation de la ville ! En plus d’être écologiquement vertueuse, la relocalisation est, par ailleurs, plus fiable en matière d’approvisionnements car elle permet d’éviter les dysfonctionnements des chaînes de valeurs mondialisées, qui sont très sensibles aux aléas, qu’ils soient climatiques, géopolitiques ou sanitaires. On l’a très bien vu durant le Covid.

On entend beaucoup parler du retour en grâce des commerces de proximité, notamment depuis la crise sanitaire. S’agit-il d’une tendance de fond ? Quel sera leur rôle dans la ville de demain ?

En termes de commerces, il y aura effectivement davantage de proximité avec, surtout, une répartition plus équilibrée des tissus commercial et serviciel entre les différents territoires. Dans mon livre, j’évoque le concept de Ville du quart d’heure, qui a été élaboré par l’universitaire franco-colombien Carlos Moreno. Ce dernier est parti du constat que la ville est un territoire complètement déséquilibré. Et ce déséquilibre, en matière d’emplois, de services, de commerces, oblige les habitants à continuellement se déplacer pour se rendre à leur travail, pour faire leurs courses etc. De tels déplacements quotidiens sont sources de stress, voire de mal être, pour les habitants et génèrent de la pollution. Pour pallier ce déséquilibre, Carlos Moreno préconise de se diriger vers un modèle polycentrique, dans lequel chaque quartier peut bénéficier des mêmes services.

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Concernant la mobilité, vous dites que nous sommes en train de basculer d’un modèle de propriété vers un modèle d’usage…

En ville, la voiture pose un grand nombre de problèmes. Non seulement, elle pollue mais, surtout, elle consomme énormément de place. C’est une aberration : on l’utilise 5% du temps et, le reste du temps, elle reste soit dans un parking, soit sur la voie publique. Le développement de l’usage au détriment de la propriété permettrait de réduire la place prise en ville par la voiture. Les mobilités douces, notamment le vélo, encouragé dans toutes les grandes villes avec le développement de pistes cyclables, ont pris beaucoup d’ampleur ces derniers temps. Par ailleurs, d’autres projets innovants, basés sur l’usage, sont actuellement en développement. C’est le cas du transport aérien en ville par exemple, qui va être testé à Paris en 2024, à l’occasion des Jeux Olympiques, sous la forme de “taxis aériens”, qui sont en fait des drones de transport fonctionnant à l’électricité. En outre, avec le numérique, on voit se développer le transport multimodal, qui permet d’effectuer un trajet à l’aide de plusieurs modes de transports différents : vélo, trottinette, bus, tramway…

Quel sera l’impact sur les acteurs de l’automobile ?

Les acteurs de l’automobile ont déjà compris qu’il fallait qu’ils transforment radicalement leur modèle. Mais forcément, cela prend du temps !  Toutefois, le développement de l’usage n’implique pas pour autant la disparition totale de la propriété. Dans les années qui viennent, l’usage sera simplement devenu aussi courant que la propriété ou le leasing.

Malgré son optimisme, votre livre évoque plusieurs scénarios dystopiques auxquels les villes pourraient être confrontées. Dans les années qui viennent, quels seront les pièges à éviter ?

On considère souvent le numérique comme étant la solution à la plupart de nos problèmes. Seulement, utilisé à mauvais escient, il peut mener nos villes et leurs habitants à subir ce que l’on peut qualifier de “tyrannie des data” : contrôle des individus, surveillance généralisée, techno-capitalisme exacerbé… Pour éviter cette catastrophe, il faut arriver à mettre les données au seul service du bien commun et du climat. 

Autre danger potentiel : la privatisation des villes, induite par le surendettement record des municipalités. On l’a vu, déjà, à Paris, avec le palais omnisports de Paris Bercy qui, en 2015, a été rebaptisé AccorHotels Arena suite au rachat, pour une durée de dix ans, de la salle par le groupe Accor. En France et à l’étranger, de nombreux stades sont eux aussi rachetés aux municipalités par des marques. Or, dans leur majorité, les villes sont endettées au delà du raisonnable. C’est le cas de la ville de Paris dont la dette est abyssale ! Pour une ville, la faillite représente un risque réel. La ville américaine de Détroit avait, par exemple, fait faillite il y a une dizaine d’années. Et une faillite telle que celle-ci – ou même un simple endettement – peut conduire à une mainmise totale du privé sur la ville. Aux États-Unis, il est déjà arrivé que des villes endettées cèdent à des entreprises privées des infrastructures clés comme des routes ou des ponts….

Enfin, le troisième danger serait que nous n’arrivions pas à transformer la ville pour l’adapter au changement climatique. Les conséquences seraient alors catastrophiques : stress hydrique généralisé, insécurité alimentaire systémique, famines, surmortalité liée aux diverses canicules… Une pareille situation causerait l’effondrement de l’ordre social tel qu’on le connaît.