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Le smartphone pourrait-il devenir notre seul et unique moyen de paiement ?

Le smartphone pourrait-il devenir notre seul et unique moyen de paiement ?

Objet technologique devenu indispensable à des milliards d’utilisateurs à travers le monde pour communiquer, le smartphone est aussi un moyen de paiement à part entière. A la pointe de l’innovation numérique, en perpétuelle amélioration,  pourrait-il un jour surclasser la carte bancaire, au point de devenir la seule et unique modalité pour régler nos achats ?

 

Il est loin le temps où, en 2008, à l’occasion d’une keynote hautement stratégique d’Apple, Steve Jobs présentait, devant un parterre de journalistes et de personnalités triées sur le volet, un nouvel appareil qui allait avoir un impact énorme sur l’évolution du digital. Dès ses débuts, le IPhone réunissait sous sa coque un nombre impressionnant de fonctionnalités, tour à tour téléphone, box internet, messagerie, montre, réveil, console de jeux, caméra, appareil photo, GPS, agenda, boussole, lampe torche, calculette, qui n’ont fait que s’étoffer depuis. 

Rapidement copié par les autres constructeurs, cet outil connecté hors du commun est devenu au fil du temps le plus utilisé au monde, avec plus d’un milliard d’unités vendues en moyenne chaque année. Ce qui a fait son succès, et qui le fait toujours, tient dans sa capacité à être polyvalent et multi-usages, en étant nourri en permanence par de nouvelles applications. Il était donc somme toute assez logique que le smartphone épouse le développement des fintechs, ces solutions technologiques qui révolutionnent, depuis plus de quinze ans, le monde de la finance en digitalisant les services bancaires. Dès 2012,  la plupart des constructeurs ont proposé aux utilisateurs des moyens de paiement intégrés, et l’adoption de cette nouvelle fonctionnalité a connu dès lors une courbe ascendante, conquérant progressivement toujours plus d’adeptes. En 2022, selon l’étude The state of the industry report on mobile money de la GSM Association, le volume total des transactions opérées par ce biais a atteint 1 260 milliards de dollars à l’échelle mondiale, et devrait bénéficier d’une croissance annuelle à deux chiffres jusqu’en 2030. 

Une évolution impressionnante qui, accélérée par plusieurs tendances de fond, laisse penser que ce type de paiement pourrait bientôt connaître une démocratisation massive, jusqu’à potentiellement devenir le modèle dominant. A l’heure de l’IA, de la mort annoncée du chèque, de la disparition progressive du cash et des parcours d’achat sans friction,  à quoi peut-on réellement s’attendre ? 

 

La montée en puissance du m-commerce.

 

Le succès du paiement mobile est intimement lié à celui rencontré par le commerce en ligne, qui prend toujours plus d’importance, année après année, dans les habitudes de consommation. En 2022, presque les deux tiers des 4500 milliards de dollars dépensés dans le monde sur les sites de e-commerce l’ont été depuis un mobile, selon les chiffres fournis par le Digital Report 2023 de We Are Social. En France, toujours en 2022, ce sont 61 milliards d’euros qui ont été déboursés de la sorte sur les 129 milliards d’euros de chiffre d’affaires réalisé par le e-commerce tricolore. Contrairement à un ordinateur classique, le smartphone permet d’accéder aux plateformes de vente depuis n’importe quel endroit, à n’importe quel moment de la journée, aussi bien depuis sa voiture que depuis son canapé, y compris directement chez les retailers, au sein des magasins physiques, et d’acheter plus facilement et plus rapidement, en opérant une simple pression du doigt sur un écran. Un avantage incontestable qui est renforcé par l’accélération du numérique dans toutes les strates de société, y compris dans la façon dont les entreprises interagissent avec les consommateurs, comme l’explique Matthieu Lacroix, Directeur Marketing et Communication de Comarch, une entreprise spécialisée dans les solutions IT innovantes pour les secteurs du retail, de l’industrie, de l’énergie et des télécommunications : « La place du smartphone au cœur de l’expérience client est aujourd’hui incontestable. Élément clé d’une approche omnicanal, des programmes de fidélisation, de communication in et front-store et autres interactions avec les objets connectés, le smartphone s’impose de plus en plus comme la plateforme d’intermédiation principale. Le paiement semble être la prochaine étape de la centralisation des processus clients sur mobile. » 

De fait, dans le même mouvement, alors que la digitalisation freine, et même menace, les moyens de paiement traditionnels que sont le cash et les chèques, l’expérience-client devient de plus en plus indissociable du smartphone, et le e-commerce migre de l’ordinateur vers le téléphone mobile, accélérant l’avènement du m-commerce comme principal canal de vente sur internet. C’est une transformation de fond tout à fait radicale. Ce n’est cependant pas la seule. 

 

 

Le monde en 2050 par Arnaud Pagès, journaliste et conférencier 

 

Le succès du sans contact.

 

Autre phénomène notable, la progression du sans contact, qui a fait un bond spectaculaire depuis la crise sanitaire, a accéléré le basculement des paiements vers le smartphone, au détriment des cartes de crédit. En janvier 2023, le première édition annuelle du Baromètre BPCE Digital & Payments relevait que le paiement mobile avait progressé de 163% en 2023 et attribuait cette très forte croissance à la transformation de l’acte d’achat  : «  Associer la facilité du sans contact et l’ubiquité du smartphone, c’est la recette du succès du paiement mobile. Une combinaison qui fait mouche si l’on en croit les taux de croissance impressionnants de ce moyen de paiement. Les montants payés grâce au mobile ont plus que doublé depuis 2021 et ont été multiplié par 12 depuis 2019. Cadence similaire pour le nombre de transactions : fois 2,3 en 2021, fois dix depuis 2019. Ce mode de paiement semble pour l’instant privilégié pour de petits règlements du quotidien, avec un panier moyen autour de 23 euros. »

A cela, il faut ajouter le rôle joué par les banques dans cette évolution, qui voient dans le smartphone et dans le sans contact deux leviers à actionner pour augmenter leurs bénéfices. BNP Paribas a parfaitement compris cet enjeu et propose aux retailers de permettre à leurs clients d’effectuer de la sorte le règlement de leurs achats de proximité jusqu’à 300 euros, donc avec un net rehaussement du plafond afférent à ce type d’opération, dès lors qu’ils sont équipé d’un smartphone NFC (Near Field Communication) et d’une application de paiement mobile grâce à laquelle ils vont pouvoir taper leur code confidentiel, alors que seules les cartes de crédit bénéficiaient jusqu’ici de ce mode de sécurisation. A date, pratiquement toutes les banques, françaises comme internationales, poussent dans cette direction en proposant ce type de service. 

Les géants du numérique, Apple, Google et Samsung en tête, sont eux aussi de la partie et mettent au point des technologies toujours plus performantes pour Android comme pour IOS que les particuliers peuvent facilement adopter, ce qui fait que la « smartphonisation » du paiement progresse rapidement. Apple Pay, qui a été lancé en 2014, avait dépassé la barre des 9 milliards de dollars de chiffres d’affaires en 2018 et réunit aujourd’hui plus de 150 millions d’utilisateurs dans le monde. La France n’est pas en reste avec Paylib et Lydia, deux solutions tricolores qui rencontrent un franc succès, la première rassemblant trente millions d’utilisateurs et la seconde sept millions. 

Pour enfoncer le clou, Visa et Mastercard, leaders mondiaux des systèmes de paiement, se sont également lancés dans la bataille en proposant la dématérialisation sur mobile de leurs produits physiques. Chaque smartphone peut donc receler une carte de crédit dans le lacis de ses circuits intégrés et de ses micro-processeurs, qui est utilisable grâce à une application dédiée, Apple Pay détenant à ce jour la plus grosse part de ce nouveau gâteau numérique. Dans cette course, Visa pousse le curseur technologique un cran plus loin que Mastercard en garantissant une parfaite protection des données lors des transactions sans contact, et leur sécurisation par empreinte digitale, reconnaissance faciale, code ou schéma.

En réalité, ce basculement vers le paiement intégré aux smartphones profite aussi bien aux banques, aux entreprises spécialisées dans les solutions IT, qu’aux retailers, ce qui alimente la dynamique, comme le précise Mathieu Lacroix : « Ce nouveau moyen de paiement, ou plutôt sa généralisation, permet aux retailers et distributeurs de se passer des terminaux et d’éviter les frais inhérents à leur utilisation. Au-delà du paiement en lui-même, l’univers bancaire dans sa globalité est ainsi impacté. L’écosystème des solutions de paiement s’agrandit un peu plus chaque jour. Les acteurs historiques du paiement enrichissent leurs solutions, les banques s’invitent alors que dans un même temps les enseignes nouent des partenariats forts avec des start-ups porteuses de solutions novatrices. » 

De fait, c’est un écosystème à part entière, réunissant de nombreux acteurs à la croisée de plusieurs secteurs, qui prend forme. Tandis que la technologie progresse rapidement, les possibilités font de même. Les portefeuilles numériques peuvent être synchronisés avec les applications de paiement par smartphone et les programmes de fidélité pour faciliter les achats en magasin, tout en étant couverts par des systèmes de sécurisation de plus en plus difficiles à hacker.

Alors que la digitalisation de la société favorise la disparition progressive des moyens de paiements traditionnels, ou incite en tout cas à repenser leur utilisation,  le smartphone pourrait devenir l’outil qui centralise l’ensemble des modalités d’achat. Dans les années à venir, avec une dématérialisation qui sera encore plus poussée, la fusion entre la carte de crédit et le mobile pourrait bel et bien faire disparaître le cash et les chèques, notamment sous l’influence des digital natives, qui sont plus enclins à opérer en ligne que dans le monde réel.