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Pop-ups, corners, digitalisation… Le retail va-t-il devenir nomade ?

Avec la montée en puissance du e-commerce, la multiplication des pop-up stores, le succès rencontré par les dispositifs shop in shops et par les évènements éphémères, le retail est désormais moins statique que par le passé. Alors que les habitudes de consommation deviennent elles même de plus en plus nomades, la sédentarité des points de vente pourrait-elle être un concept dépassé ?

 

Dans un monde où tout va plus vite, où les entreprises ont pour injonction de devenir agiles, où l’expérience vécue par le client compte autant que le produit en lui même, où le digital favorise la consommation éphémère, où il est possible d’acheter n’importe quel produit depuis n’importe quel endroit de la planète, le nomadisme est en train de transformer les habitudes de consommation du commerce physique en donnant la possibilité aux retailers d’inventer de nouveaux codes.

 

Cette inflexion vers la mobilité est née au début du 21ème avec l’apparition des premiers pop-up stores sur la côte ouest des Etats-Unis, à l’initiative de grandes entreprises comme Levi Strauss ou Motorola qui voyaient dans cette innovation l’opportunité de faire souffler un vent de fraîcheur sur leurs offres. Puis, en 2004, la marque japonaise Comme des garçons avait ouvert le légendaire Guerilla Store dans un entrepôt désaffecté à Berlin, rencontrant un énorme succès, avant de faire voyager ce concept novateur à Barcelone, Athènes, Helsinki, Singapour, Hong Kong, Stockholm, Glasgow, Varsovie, posant les bases d’une formule qui allait faire florès. 

 

Jusque là immuable et inamovible, vitrine immobile des marques, repère permanent ancré solidement depuis toujours et pour toujours à la même adresse, figé dans l’espace et dans le temps, incarné dans un lieu unique qui avait pour règle de ne jamais changer d’emplacement, misant sur la sédentarité afin de générer la force d’attraction nécessaire pour attirer à lui, tel un aimant, les consommateurs, le magasin pouvait dès lors apparaître dans d’autres endroits, prendre forme dans des lieux surprenants et inattendus, devenant agile, flexible, fugace et immédiat, atteignant localement de nouveaux clients en réinventant ses propositions, changeant d’apparence et d’agencement, proposant des gammes inédites de produits disponibles en exclusivité pour une durée limitée, généralement courte, créant l’évènement et la surprise, suscitant l’intérêt des médias et des relais d’influence, avant de se déplacer ailleurs, de partir pour d’autres destinations dans un cycle qui pouvait potentiellement ne jamais avoir de fin. 

 

C’était tout nouveau, et ce fut irrésistible. A partir de 2004, durant la décennie qui suivra l’invention du pop-up store, tous les acteurs du retail allaient adopter cette formule, de Nike à Chanel, de Playstation à Moët & Chandon, de Ferrerro à Hema, faisant naître une géographie mouvante du commerce. Aujourd’hui, plusieurs transformations laissent penser que, tant du côté des marques que des consommateurs, le magasin est appelé à intégrer une part toujours plus importante de nomadisme dans son fonctionnement. A quoi peut-on s’attendre ?

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L’ère du commerce mobile.

 

Presque vingt ans après le premier Guerrilla Store de Comme des garçons, le pop-up store est un phénomène qui tient sur la durée et qui suscite même un engouement de plus en plus important. Véritable laboratoire marketing, levier de réenchantement de l’acte d’achat, outil de valorisation des produits, ce marché représente aujourd’hui plusieurs dizaines de milliards de dollars de plus value tous les ans pour les marques. D’après une étude sur l’économie du commerce éphémère menée par le Centre for Economics and Business Research, ce chiffre s’élève à plus de 3 milliards d’euros rien qu’en Angleterre. Une véritable manne qui indique une nette appétence des consommateurs pour le retail agile. Ce n’est cependant pas la seule explication de ce succès fulgurant car en devenant mobile, le commerce devient aussi davantage customer-centric. Selon Mohamed Haouache, qui est à la tête de Storefront, une entreprise spécialisée dans la location d’espaces dédiés à ce type d’évènements :  « Les marques ont désormais la possibilité de lancer des initiatives retail à moindre coût pour la durée de leur choix. La boutique, historiquement centrée sur le produit, devient éphémère et prend le client pour nouveau centre de gravité. » 

 

Par ailleurs, alors que l’expérience est devenue un facteur essentiel pour séduire les consommateurs, cette nouvelle typologie de proposition épouse parfaitement les évolutions de notre époque. En 1997, dans leur best seller Digital Nomad, les informaticiens Tsugio Makinoto et David Manners écrivaient, avec un temps d’avance et de façon prophétique : « Dans la prochaine décennie, la plupart des gens constateront que le lien géographique est en train de se dissoudre. Cela se fera progressivement et il faudra du temps pour qu’ils se rendent compte qu’une révolution est en train de se produire. Mais à la fin de ces dix années, la plupart des gens dans les pays développés seront libres de vivre où ils veulent et de voyager autant qu’ils veulent. »

 

C’est exactement ce qui s’est produit. Airbnb, Uber, Deliveroo, WeWork, Netflix, Amazon ont littéralement reconfiguré nos habitudes de consommation, rendant flexibles nos façons de travailler, de nous déplacer, de partir en vacances, nous permettant de changer de fournisseur de services en une fraction de secondes, de modifier nos choix instantanément, de passer d’une marque à une autre au gré de nos envies… Ce qui a opéré une mutation de fond dans notre rapport à l’achat. Pour reprendre les mots d’Alain Salzman, le fondateur du réseau d’enseignes Marques Avenue: « Le consommateur est devenu nomade, il est ici et ailleurs » De fait, l’enjeu pour les retailers n’est plus seulement de faire venir les clients dans les points de vente, mais aussi d’aller à leur rencontre. C’est précisément ce que permet le commerce mobile. 

 

Nouvelles propositions.

 

Conséquence de cette évolution, alors que le e-commerce est devenu un phénomène globale qui est en mesure de proposer tous les produits pour répondre à tous les besoins en fonction de tous les budgets, et que la consommation est devenue plus agile, l’économie éphémère ne cesse de monter en puissance, réécrivant les règles du retail à l’aune de l’immédiateté et du mouvement permanent.  Depuis les food trucks en passant par les dark kitchens, l’offre nomade, qui était à l’origine circonscrite aux pop-up stores, s’est considérablement élargie ces dernières années, mais ce sont surtout les dispositifs shop-in-shop qui ont pris une ampleur considérable, avec certains projets particulièrement audacieux. En 2021, la marque de chaussures et de vêtements Gémo avait noué un partenariat stratégique avec Intermarché qui lui avait permis d’ouvrir 100 corners dans les espaces de vente du distributeur. Franprix, de son côté, a déployé en 2022 des corners Décathlon, Monoprix et Claire’s dans ses supermarchés. Casino et La Grande Récré ont mis en place le même type de collaboration, tout comme l’enseigne d’épicerie 100% vrac Day by Day et Auchan. Avec ce principe, tout est possible et la boutique d’un retailer peut se déplacer dans n’importe quelle autre boutique. 

 

Depuis peu, de nouvelles formules poussent le concept encore plus loin, et laissent entrevoir un retail dont le fonctionnement sera encore plus centré sur le nomadisme, voire même dans certains cas nomade à 100%. C’est notamment ce que propose Louis Vuitton à ses clients américains, grâce à une caravane ultra-chic renfermant une boutique de luxe, qui s’arrête à leur demande dans leur jardin pour leur proposer une sélection personnalisée de vêtements et d’accessoires. Autre exemple pertinent avec Le Hangar, un camion conçu pour être un véritable point de vente mobile,  qui se déplace de ville en ville pour proposer des vêtements de grandes marques à bas prix. Dans un autre registre, le CCI a imaginé une boutique connectée nomade,  qui sillonne le département des Hauts-de-Seine pour partir à la rencontre des commerçants afin de les aider à digitaliser leurs points de vente. Même le groupe Accorhotels, qui a de toute évidence parfaitement compris l’importance d’aller vers les consommateurs, suit le mouvement, avec un service d’hébergement itinérant,  composé de chambres nomades désignées par Ora Ito,  disponibles lors des grandes compétitions sportives ou les festivals de musique. 

 

Dans un avenir proche, il ne fait guère de doute que les initiatives de ce type vont se multiplier. D’une part parce que les marques ont besoin de séduire et de fidéliser les consommateurs avec de nouvelles offres, d’autre part parce que la mobilité devient un élément important à prendre en compte pour rester en phase avec l’évolution des modes de vie. Le retail nomade a incontestablement de beaux jours devant lui.