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Portrait robot du consommateur de demain.

Entre réchauffement climatique, crise économique généralisée et accélération continue du numérique, la façon d’acheter évolue et fait apparaître un nouveau consommateur qui est à la fois plus responsable, plus informé et plus précautionneux dans ses choix. À quoi ressemblera-t-il demain ?

 

Le consommateur est toujours le produit d’une époque et des événements qui la façonnent. En avril 2023, l’enquête L’inflation, et après ?, menée par Publicis Consultants en collaboration avec le cabinet d’études de marché Toluna et Harris Interactive, révélait que 91 % de Français avaient changé leurs habitudes de consommation après la crise sanitaire, et que 69 % souhaitaient que celles-ci soient durables sur le long terme. De manière audacieuse, cette enquête affirmait que tout se passait maintenant comme si la hausse des prix était en train de façonner un nouveau consommateur, la sobriété étant désormais un choix délibéré, alors qu’elle était auparavant perçue comme une injonction.

 

De fait, alors que depuis la pandémie et la guerre en Ukraine, le budget des ménages a été peu à peu grignoté par l’inflation, perdant en moyenne cinq points de pouvoir d’achat par an selon l’Insee, et que le contexte économique mondial apparaît comme particulièrement incertain, les comportements d’achat tendent à devenir plus sélectifs et plus responsables, à la fois par manque de moyens et par peur de l’avenir, et cette inflexion n’est pas observable uniquement en France mais à peu près partout ailleurs dans le monde.

 

En tirant les fils, vers quoi cette évolution peut-elle nous mener ? Quels éléments sont susceptibles de bousculer les habitudes de consommation au point de les transformer de façon pérenne ?

 

Une plus grande exigence

 

A une époque ou la permacrise n’est pas seulement un nouveau mot à la mode claironné à longueur de temps par les sociologues et les journalistes mais une réalité concrète, palpable et visible, il ne s’agit plus de dépenser de l’argent pour acquérir n’importe quoi, n’importe comment et n’importe quand, mais d’aller vers l’essentiel, l’utile et le durable.

 

Les chocs encaissés lors de la crise sanitaire, avec des épisodes de confinement qui ont été traumatisants pour de nombreuses populations, combinés à la peur croissante d’une catastrophe écologique majeure, ont eu pour effet de redistribuer les priorités.

 

Le consommateur est devenu exigeant, prudent et attentif à ses choix, ce qui fait que l’acte d’achat est plus raisonné qu’auparavant, comme l’explique Xavier Charpentier, spécialiste des habitudes de consommation et co-fondateur du cabinet de conseil Free Thinking : « Nous assistons bien à un changement profond des consommateurs, qui ont massivement adopté ce qu’on pourrait appeler un « méta-comportement de crise » et décuplé leurs capacités d’adaptation. Ils ont acquis des soft-skills de consommation, au-delà des outils, qui les transforment en machine de guerre aptes à trouver sans cesse de nouvelles façons de mieux et moins consommer. »

 

Ce nouveau rapport à l’achat, plus tatillon et moins spontané, largement nourri par l’inflation, est par ailleurs favorisé par le numérique, non seulement parce que les marques ont rehaussé d’un cran le degré d’exigence des consommateurs en faisant le pari de la personnalisation, mais aussi parce que ces derniers n’ont jamais été aussi bien informés sur ce qu’on leur proposait d’acheter. Ils ont appris à lire entre les lignes, à jauger si tel ou tel objet leur était vraiment nécessaire, et surtout à vérifier si ce qu’on leur en disait était crédible.

 

Dans un avenir proche, tout indique que ces nouveaux comportements, qui sont de plus en plus ancrés, vont prendre de l’importance car l’embellie économique et le retour de la croissance sont des mythes auxquels les consommateurs ne croient plus. Et c’est encore plus flagrant si l’on fait entrer le facteur climatique dans l’équation.

 

Priorité à l’environnement

 

Dans la tête des consommateurs, l’affaire est entendue, ce qui n’était pas forcément le cas avant, en tout cas pas aussi clairement… Le réchauffement climatique a un impact de plus en plus marqué sur la société. C’est aujourd’hui un fait qui est de moins en moins contestable, et d’ailleurs de moins en moins contredit, tant il est en train de se réaliser sous nos yeux. Année après année, irrésistiblement, les températures moyennes augmentent, les périodes de fortes chaleurs durent plus longtemps, les phénomènes météorologiques extrêmes sont plus nombreux. Pa ricochet, la préoccupation écologique suit le même chemin et est partout en forte hausse. En octobre 2023, le rapport annuel sur l’état de la France du CESE (Conseil économique, social et environnemental) révélait que 80% de nos concitoyens étaient inquiets des conséquences que le dérèglement environnemental pourrait avoir sur leur vie quotidienne. Selon une autre enquête portant sur le même sujet, réalisée par l’Ipsos pour le compte de l’observatoire international climat et opinions publiques d’EDF, c’est le cas également pour 43% de la population mondiale. Pour rentrer un peu plus dans le détail, l’éco-anxiété concerne 30% des nord-américains, 47% des asiatiques, 35% des africains et des moyen-orientaux, et 19% des européens.

 

Cette angoisse généralisée fait évoluer les comportements d’achat vers les produits recyclables, durables, et écologiques, qui sont de plus en plus plébiscités dans tous les secteurs de vente. Le consommateur a pris conscience qu’il avait une part de responsabilité dans la crise actuelle et la consommation devient, de ce fait, plus responsable.

 

C’est un changement majeur qui ne peut que s’amplifier, comme le précise Laurent Rouzé, Directeur de clientèle du cabinet d’études marketing Enov : « Il est acquis pour tous — pour les individus comme pour les entreprises — que nous vivons une double crise, économique et climatique, dont on n’imagine pas de sortie miraculeuse et qui sera la donne de 2030. Dans ce contexte, une part considérable des consommateurs sont d’ores-et-déjà amenés à réaliser des arbitrages au jour le jour. Et ce phénomène va très vraisemblablement se poursuivre. Mais en réalité, c’est aussi la possibilité d’un « consommer mieux » qui s’est inscrit dans les esprits et pourrait s’imposer plus encore dans les années à venir, avec la remise en question du concept de croissance. Pour aller non pas nécessairement vers de la décroissance, mais au moins vers plus de progrès humains et une consommation plus sereine. Cela va de pair avec la montée en puissance des achats groupés ou de seconde main, du troc, de pratiques d’entraides. »

 

Inévitablement, dans une situation climatique qui sera davantage dégradée et davantage incertaine, le consommateur de demain sera encore attentif aux enjeux écologiques qu’il ne l’est aujourd’hui, et cette conscience environnementale renforcée guidera ses choix au quotidien, orientant ses préférences pour telle ou telle marque, l’aiguillant vers tel ou tel produit, à une échelle bien plus large. Ce virage plus marqué vers le vert constitue un levier important de transformation car il va favoriser les marques les plus engagées, mais il manque encore une pièce au puzzle pour que celui-ci soit complet.

 

Le facteur générationnel

 

Autre élément à prendre en considération, les jeunes générations, et plus précisément les Z et les Alphas, font également bouger les lignes de la consommation, allant jusqu’à en dynamiter les codes. Ces futurs adultes, qui possèdent un pouvoir d’achat cumulé de 450 milliards de dollars américains au niveau mondial selon l’étude Gen Z’s role in shaping the digital economy d’Oxford Economics, incarnent toutes les contradictions de notre époque. Nés avec le numérique, entourés d’écrans dès les premiers instants de leur vie,  naturellement doués pour utiliser un smartphone, sur lequel ils restent d’ailleurs rivés en moyenne 4 heures par jour, soit bien plus que le reste de la population, ils affirment être les plus concernés par les questions de durabilité et de protection de l’environnement.

 

En première ligne de la crise environnementale, ce sont également les générations les plus éco-anxieuses. En 2021, l’ étude Young People’s Voices on Climate Anxiety, Government Betrayal and Moral Injury: A Global Phenomenon, effectuée par les chercheurs Caroline Hickman, Elizabeth Marks, Panu Pihkala et Susan Clayton auprès de 10 000 jeunes de 16 à 25 ans dans dix pays, et publiée par la très sérieuse revue The Lancet Planetary Health, mettait en lumière que 70 % d’entre eux étaient très inquiets, et même extrêmement inquiets, du changement climatique.

 

De fait, les Z et les Alphas sont à même d’opérer la jonction entre comportements d’achat numériques et écologiques, utilisant les ressources du digital pour sélectionner les produits les plus vertueux, privilégiant de la même manière les marques qui agissent le plus pour l’environnement, en faisant preuve de plus exigence que leurs ainés, et en évitant par tous les moyens de surconsommer. C’est ce croisement qui définit sans doute avec le plus d’acuité ce qui sera la façon d’acheter dans les années qui viennent.

 

Plus conscient, plus raisonné, plus engagé, plus soucieux du devenir de la planète, le consommateur de demain jouera un rôle clé dans la transition écologique, devenant un maillon à part entière de la protection de l’environnement et de la décarbonation. Mieux informé, plus aguerri et plus sélectif, il aura à cœur d’acheter systématiquement au prix juste, plus encore qu’aujourd’hui, dans une démarche sobre, utile, transparente et éthique, faisant ainsi définitivement basculer en sa faveur le rapport de force avec les marques.