Une plongée dans le luxe de demain.
Illustration générée par IA.
En pleine mutation, le secteur du luxe est en train de réinventer ses propositions pour rester en phase avec une époque bouleversée par le réchauffement climatique et l’accélération numérique. Quels chemins le haut de gamme va-t-il emprunter pour changer de peau ?
Fin 2024, le chiffre d’affaires global du luxe devrait atteindre 1500 milliards d’euros au niveau mondial, et bénéficier d’une croissance comprise entre 2% et 4%, selon le rapport Luxury Goods Worldwide Market Study du cabinet McKinsey & Company. De fait, malgré la crise économique majeure qui impacte toutes les entreprises, le secteur affiche une excellente santé financière. L’inflation glisse sur les produits d’exception comme le fait une goutte de pluie sur un tissu imperméable, sans même que cela ne se remarque. Mieux encore, année après année, le haut de gamme reste insensible aux turbulences et aux perturbations là ou d’autres industries voient leurs bénéfices fluctuer en fonction de la conjoncture. Rien ne semble pouvoir l’atteindre.
Pour les différents acteurs, la situation est cependant incertaine. D’une part, parce que les marques ont pour obligation de répondre à l’inquiétude grandissante des consommateurs vis-à -vis du réchauffement climatique, ce qui les oblige à transformer leurs pratiques, à repenser la commercialisation de leur produits, et à faire évoluer leurs circuits de distribution. C’est un challenge qui s’impose à toutes les maisons, qu’elles soient grandes ou petites.
D’autre part, parce que les marques doivent également poursuivre leur mue digitale, et même l’accélérer pour séduire les Z et les Alpha, ces nouvelles générations biberonnées à internet qui représentent les consommateurs de demain. Cela nécessite là encore d’opérer un grand nombre de transformations en misant sur les technologies de pointe, et notamment sur l’intelligence artificielle.
Alors que le luxe de demain est un territoire encore en friche, quels éléments permettent d’en tracer les contours ? A quoi peut-on s’attendre ?
Virage responsable.
Au fil du temps, pour toutes les entreprises, quelle que soit leur activité, la RSE est devenue un élément central à prendre en considération pour penser les stratégies de développement, et le luxe ne fait pas exception à la règle. Depuis plusieurs années, toutes les maisons se sont emparées de cet enjeu. Chose impensable au début du 21ème siècle, la seconde main a fait progressivement son apparition dans les codes du haut de gamme. A l’heure de l’emballement climatique, cette pratique vertueuse déculpabilise l’achat tout en permettant aux marques de faire baisser leurs émissions. Elle est, de ce fait, en pleine progression. Toujours selon l’étude Luxury Goods Worldwide Market Study du cabinet McKinsey & Company, le réemploi pèse actuellement 51 milliards de dollars dans le chiffre d’affaires global du secteur et sa progression est soutenue par une croissance à deux chiffres, proche des 20%. Une véritable montée en puissance qui ne fait que commencer car cette inflexion oblige de plus en plus les marques à travailler sur la durabilité de leurs produits, comme l’expliquait Marie-Claire Daveu, directrice du développement durable de Kering, dans une interview accordée au magazine Elle : « Intégrer la circularité dans un business model, c’est changer ses pratiques en profondeur à chaque étape. Se poser la question du recyclage d’un produit ne suffit pas. Nous devons porter une attention particulière à sa longévité, offrir des services d’entretien, de réparation, et surtout innover dans la conception et les procédés de fabrication en réduisant l’impact sur les écosystèmes, les déchets, les consommations d’eau et d’énergie. «
Pour accélérer cette transition, de nouveaux acteurs ont fait leur apparition. Depuis 2018, la start-up Authentic Material transforme les matières nobles inexploitées, co-produits ou surplus de stock, en matériaux naturels de prestige dans une démarche circulaire, tandis qu’ID Genève est la première enseigne d’horlogerie de luxe dédiée aux « personnes qui s’engagent à lutter contre le changement climatique » en ne proposant que des modèles reconditionnés. Aujourd’hui, c’est un écosystème composé de plusieurs milliers d’entreprises à travers le monde qui aide les grandes maisons à basculer dans l’économie circulaire.
De fait, tout indique que demain, dans un monde qui sera devenu plus chaud, les matériaux revalorisés et les textiles recyclés deviendront la norme dans les collections des grandes maisons. Alors que les marques devront prendre en considération l’ensemble des impacts environnementaux de leurs activités, et plus seulement leur impact carbone, le réemploi pourrait même être le standard des modalités d’achat.
Toujours plus de digital.
Selon le cabinet d’études et d’analyses Statista, la valeur du marché mondial des produits de luxe en ligne était de 62 milliards d’euros en 2021. En 2024, elle a dépassé les 75 milliards d’euros. L’arrivée de consommateurs plus jeunes et plus connectés a bouleversé les règles d’achat. Alors qu’auparavant, il était impensable d’acquérir une montre à 100 000 euros sans l’avoir essayé, ni sans avoir discuté avec le vendeur, le digital piétine ces habitudes d’un autre temps, comme l’expliquait Toni Belloni, directeur général délégué du groupe LVMH, au magazine Les Echos : « Nous sommes dans une période de changements sans précédent. Plusieurs facteurs se combinent : la montée en puissance des nouvelles technologies, le développement d’une génération digitale, ainsi que la circulation globale de l’information et des produits. Cette nouvelle réalité s’impose à tous les secteurs mais elle marque encore plus le luxe car nos clients sont à l’avant-garde de cette révolution. »
De fait, 60% des Millenials et des Z ont déjà acheté des produits de luxe sur internet, soit via les sites des marques, soit via des marketplaces qui sont de plus en plus nombreuses. Et l’arrivée de la génération Alpha, née après 2010, va remettre une pièce encore plus grosse dans la machine. A l’avenir, tout indique que les infrastructures de commercialisation des marques vont connaître une importante dématérialisation, ce qui va très certainement faire baisser le nombre de magasins physiques. L’acheteur de demain choisira sa paire de lunettes Versace depuis son smartphone, passera commande et se la fera livrer.
A cette transformation de la vente, il faut ajouter celle que l’IA apporte au processus créatif, ce qui pousse un peu plus en avant la digitalisation du secteur. Alors qu’il y a deux ans, les grandes maisons avaient positionné leurs pions dans le metaverse et les NFT’s, elles veulent aujourd’hui dompter les IA génératives, ChatGPT et MIdjourney en tête, dont elles ont décelé tout le potentiel pour régénérer leurs collections, comme l’analyse Nicolas Flaud, directeur développement mode et luxe chez Imki, dans les colonnes de Fashion Network : « L’enjeu majeur, c’est d’avoir une base de données qualitative. Quand les datasets sont propres, les applications pour le luxe sont innombrables, surtout en termes de production et de délais. Les IA vont permettre d’accélérer de manière très significative le processus créatif, en créant des collections en beaucoup moins de temps qu’aujourd’hui. L’IA peut générer en quelques heures à peine de nouvelles propositions et ce à l’infini, y compris dans les imprimés. Elle va décupler le potentiel créatif ».
En mars 2024, G-Star, marque de jeans haut de gamme, a lancé sa première collection conçue grâce à MidJourney, tandis que Guerlain a développé son propre modèle d’intelligence artificielle pour élaborer une exposition d’art digital à l’occasion du 170 ème anniversaire du Flacon aux Abeilles. Le luxe de demain ne sera pas seulement davantage digitalisé, il sera également augmenté grâce aux algorithmes.
Réinventer la rareté.
Autre tournant notable, l’attrait pour le luxe n’est désormais plus uniquement focalisé sur l’objet physique, qui est pourtant depuis toujours, du sac Louis Vuitton à la montre Rolex en passant par le tailleur Chanel, le principal driver de la croissance des marques. Alors que ces dernières années, les grandes maisons ont souhaité » démocratiser leurs produits pour toucher d’autres publics, plus jeunes, moins argentés », faisant du luxe « un véritable concept commercial en dehors de tout savoir-faire particulier », pour reprendre les mots de Laetitia Girard, Directrice Générale de The Vendom Company, l’expérience devient peu à peu la clé de réinvention du secteur.
Les voyages, l’hospitalité, les vacances, les loisirs représentent désormais autant de services exclusifs réservés à quelques happy few fortunés, que les consommateurs habitués à acheter les premiers prix du luxe n’ont pas les moyens de se payer. Ainsi, en 2023, le marché de l’hôtellerie haut de gamme a connu une croissance de 14%, celui de la restauration gastronomique de 10%, tandis que les croisières d’exception battaient tous les records avec une hausse de 113%, selon le cabinet Bain & Company. Une progression qui n’en est qu’à ses débuts comme l’explique Pierre-François Le Louët, Président d’Honneur de la Fédération Française du Prêt-à-porter Féminin : « Les codes du désir ont énormément évolué dans le secteur du luxe durant ces dernières années. Les marques de luxe sont confrontées à un nouveau contexte, à de nouvelles cibles. On parle beaucoup aujourd’hui de storyliving : cette dimension expérientielle du luxe qui prend aujourd’hui le dessus sur toutes ces années axées sur le storytelling. Les marques de luxe visent désormais à impliquer davantage le consommateur dans la manière dont il vit le luxe. On parle beaucoup de culture populaire, de transgression des codes du luxe. Différents points qui permettent d’ancrer le luxe dans un nouveau territoire autre que celui du luxe dit » traditionnel ».
Pour les marques, cette nouvelle dimension du luxe est un puissant levier de réinvention car elle leur permet à la fois de séduire de nouveaux clients et de diversifier leurs activités. Et les initiatives allant dans cette direction sont de plus en plus nombreuses… Breitling a ouvert une boutique-café-restaurant à Séoul, Gucci a fait plus ou moins de même avec le Gucci Garden, lieu réunissant concept-store, librairie et restaurant, tandis que Louis Vuitton inaugurera en 2026 un hotel en forme de malle sur les Champs Elysées. Ce que le consommateur vit est devenu aussi important que ce qu’il possède, voire même plus.
Plus responsable, plus numérique, moins centré sur le produit, le luxe de demain mélangera innovation et respect de l’environnement, technologie et durabilité, pour formuler des propositions qui vont au-delà de ce que les consommateurs connaissent aujourd’hui. C’est un nouveau chapitre de l’histoire de cette industrie qui est sur le point de commencer.