TOP

Comment le réchauffement climatique va-t-il impacter le retail ?

Comment le réchauffement climatique va-t-il impacter le retail ?

Déjà fortement éprouvées par la pandémie et par les conséquences de la guerre en Ukraine, les chaînes de valeur mondialisées s’apprêtent à connaître des perturbations bien plus importantes avec le réchauffement climatique. Alors que le transport de marchandises commence déjà à être impacté, ce sont toutes les composantes du retail qui vont devoir évoluer. 

 

Ici comme ailleurs, rien ne sera plus comme avant. Partout dans le monde, l’augmentation des températures va avoir des répercussions inédites de par leur ampleur sur le commerce de détail. Le stress hydrique, provoqué par des périodes de forte chaleur plus longue que d’habitude, commence déjà  à affaiblir les capacités industrielles et les rendements agricoles. Fait marquant, la production de maïs affiche cette année un retrait de près de 11% à l’échelle planétaire, chiffre considérable et inquiétant. 

 

Le réchauffement climatique nous invite aussi à nous interroger sur la résistance aux crises des circuits d’approvisionnement, et sur la longueur des distances de la logistique dans un contexte de réduction des émissions de CO2, et ce alors même que la réindustrialisation apparaît comme un gage de souveraineté et comme un atout pour accélérer la décarbonation. 

 

Enfin, le changement climatique est en train de modifier les habitudes de consommation dans chaque pays, affectant la nature des biens commercialisés, et obligeant les retailers à repenser leurs offres. 

 

Face à ces enjeux, ceux-ci ont de plus en plus pour injonction de devenir les fers de lance d’un nouveau modèle économique responsable.  A quoi faut-il s’attendre exactement ? Comment le réchauffement climatique va-t-il faire évoluer le secteur ?

 

Une nouvelle consommation.

 

Selon un sondage réalisé par l’Ifop en mars 2023, 55% des Français déclarent être des anxieux climatiques, ce qui signifie qu’ils ressentent, fréquemment voire quotidiennement, un sentiment d’angoisse en lien avec les préoccupations environnementales. Cette peur de ce qui va advenir est en train de modifier, lentement mais sûrement, les habitudes d’achat. De plus en plus, la consommation tend à devenir responsable. Les circuits courts, le bio, la seconde main, le « zéro plastique », le neutre en carbone n’ont cessé, année après année, de prendre de l’importance dans les décisions d’achat. 

 

Depuis toujours, cette inflexion est fortement corrélée à l’aggravation de la crise climatique. Alors que les températures deviennent plus élevées, que les canicules sont plus intenses, que les catastrophes naturelles sont plus fréquentes, que la biodiversité décline, que le stress hydrique est devenu une préoccupation à part entière, le virage vers le vert des consommateurs a toutes les chances d’accélérer. 

A date, c’est en tout cas ce que constate le deuxième volet de l’étude menée par l’Observatoire de la consommation responsable auprès de 4000 Français sur leurs modes de consommation, après un premier volet réalisé en 2021. Et les résultats, qui viennent de sortir, sont éloquents. 

 

L’Observatoire révèle que 43 % de nos concitoyens souhaitent privilégier les circuits courts et la consommation locale, tandis que le tri et le recyclage, la lutte contre le gaspillage et la réduction des déchets sont entrés dans les pratiques de 30% des répondants, contre 23% deux ans plus tôt. Comme autres changements, les achats écologiques et les produits bios sont plébiscités par 29% de nos concitoyens, tandis que les plus extrêmes, ceux qui souhaitent limiter leur consommation à des besoins vraiment essentiels, sont désormais 28 %, soit trois points de plus qu’en 2021.

 

Ces nouvelles attentes doivent inciter les retailers à agir. Pour le secteur, cela veut dire rendre la consommation responsable plus facilement accessible, augmenter la part des produits respectueux de l’environnement, baisser leurs prix, et mieux renseigner des consommateurs avides de repères fiables pour qu’ils puissent faire le bon choix. Dans cette même enquête, 82 % des Français déclaraient attendre des entreprises qu’elles les informent sur le caractère écologique des modes de production et sur les usages les plus écologiques de leurs produits.

 

Le déclin inévitable des produits neufs.

 

Chose peu connue, et qui échappe au radar de la grande majorité d’entre nous, la plupart des produits que nous utilisons au quotidien sont fabriqués à partir de pétrole. Cela va du dentifrice à l’aspirine, des ordinateurs aux jeux-vidéos, des matelas gonflables aux lunettes, des sacs-poubelles aux ustensiles de cuisine. C’est le cas également pour 36% des emballages alimentaires, pour les vêtements fait en nylon, en polyester, en acrylique et en caoutchouc, pour les jeans, les baskets, les imperméables, les bottes, pour la plupart des produits cosmétiques, et pour tout ce qui incorpore de près ou de loin du plastique ou du vinyle. 

 

Cette liste à la Prévert montre bien l’étendue du problème qui est devant nous. La fin des hydrocarbures ne concerne pas uniquement l’énergie mais une part très importante de notre consommation. Or, il est très difficile, et dans certains cas même impossible, de remplacer le pétrole ou ses dérivés. Sans compter que ce twist serait également très coûteux car il faudrait recalibrer l’ensemble des processus industriels.

 

De ce fait, la décarbonation ne pourra pas se faire sans une moindre consommation de produits neufs. Et cela induit nécessairement de nouveaux critères d’achat.  A ce titre, la durabilité est en train de s’imposer comme une tendance d’avenir. Selon une étude de l’Ademe réalisée en 2019, 80% des Français considèrent la réparation et la maintenance comme les modes de consommation de demain.  L’augmentation de la durée de vie des produits a d’ailleurs été rendue obligatoire par la Loi anti gaspillage pour une économie circulaire de 2020, qui a introduit l’indice de réparabilité, avec l’obligation pour les marques d’afficher la disponibilité des pièces détachées. 

 

Outre l’enjeu écologique, cette inflexion trouve également sa source dans des raisons plus profondes en lien avec la surconsommation, comme l’explique Jean Viard, sociologue et directeur de recherche au CNRS :  « La société industrielle est une société du neuf, une société de l’objet neuf. Mais une fois cela acquis, ce que les gens souhaitent c’est plutôt de l’authentique. »

 

De fait, tout indique qu’ une réduction des fréquences d’achats, et donc des volumes de vente, est à prévoir. Par ricochet, un nouveau marché de la réparation commence à faire son apparition. Le retailer de demain sera donc également un prestataire de service spécialisé en durabilité. Il s’agira pour lui de faire durer les produits le plus longtemps possible. 

 

En parallèle, cette nouvelle donne va stimuler la croissance du marché de la seconde main, qui est en train de devenir un facteur important dans les chiffres d’affaires réalisés par le commerce de détail, alors même que l’économie circulaire fait partie du quotidien d’un nombre toujours plus important de consommateurs. 

 

Un retail davantage local.

 

Autre phénomène majeur, le réchauffement climatique va perturber en profondeur la logistique au niveau mondial. L’augmentation du niveau des mers – qui pourrait atteindre plusieurs dizaines de centimètres d’ici la fin du siècle – va rendre impraticable un grand nombre de voies navigables, alors que celles-ci sont un maillon essentiel à l’acheminement des produits vers les lieux de consommation, le fret représentant 90% du transport de marchandises. 

 

« Le réchauffement climatique aura des impacts très importants sur le transport maritime. En parallèle, la réduction du niveau d’eau douce dans les terres va compliquer le transport fluvial. En plus de ces deux phénomènes, les événements météorologiques extrêmes, que ce soit les incendies, les tempêtes, les canicules ou les périodes de sécheresse intense, vont également déstabiliser les chaînes logistiques » détaille Constance Maréchal-Dereu, directrice générale de France Logistique. 

 

Pour les retailers, ces perturbations seront synonymes d’une très forte augmentation des coûts de livraison des produits, ainsi que d’une plus grande incertitude sur les délais, tandis qu’une logistique locale aura pour avantage de sécuriser les approvisionnements.  Ce n’est cependant pas le seul élément qui change les règles du jeu. 

 

En France, le processus de « réindustrialisation verte », voulu par le gouvernement suite à la pandémie de Covid-19, promet lui aussi de laisser moins de place aux produits venant de l’étranger en relocalisant la production de biens manufacturés à proximité des consommateurs. Si ce phénomène reste peu visible, il ne cesse de monter en puissance année après année. Selon le cabinet Trendeo, 155 entreprises tricolores ont repositionné leurs activités industrielles en France en 2022, 87 en 2021 et 30 en 2020, avec à la clé la création de 50 000 nouveaux emplois. 

 

Enfin, la nécessaire décarbonation du retail invite également à repenser les distances d’approvisionnement au profit du local. L’empreinte carbone du secteur provient en effet à 90% de produits qui nécessitent de longs trajets pour arriver jusqu’au consommateur, ce qui génère des quantités importantes de CO2. Rapprocher le lieu de vente du lieu de production est donc un moyen efficace pour réduire les émissions. 

 

Dans un avenir proche, le réchauffement climatique va entièrement recalibrer le retail. L’importance accordée au local, à l’authentique, au réparable, au réutilisable va favoriser l’émergence de nouvelles valeurs incontournables pour le commerce et faire évoluer en profondeur la façon de consommer. Pour le secteur, cela voudra dire mettre en place de nouveaux services durables, garantir la responsabilité environnementale des produits proposés aux consommateurs, ménager plus de place pour la seconde main, mais aussi accélérer la décarbonation des pratiques. Ce n’est donc pas à une simple adaptation mais à une véritable révolution à laquelle il faut s’attendre.