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Le retail à l’heure des villes bas carbone.

Phénomène majoritairement urbain, le retail ne saurait échapper au processus de décarbonatation des grandes agglomérations qui est actuellement en cours. Tout indique que le commerce physique va connaître les mêmes transformations que celles qui tendent aujourd’hui à adapter les métropoles au réchauffement climatique.

 

Selon les chiffres de l’ONU, 70% du CO2 qui est rejeté dans l’atmosphère est imputable aux grandes agglomérations, tandis que celles-ci consomment près des deux tiers des ressources énergétiques au niveau mondial, comme l’a démontré l’étude « Keeping Track of Greenhouse Gas Emission Reduction Progress and Targets in 167 Cities Worldwide » réalisée, réalisée en 2021 par des chercheurs de l’université chinoise de Sun Yat-sen. Une situation intenable au regard des enjeux climatiques. 

En France, depuis 2018, le deuxième volet de la Stratégie nationale Bas Carbone et la loi Climat et Résilience ont fixé le cap d’un développement urbain responsable. Désormais, métropoles et mégapoles ont pour injonction de faire baisser leurs émissions afin de pouvoir atteindre la neutralité à l’horizon de 2050. Pour y parvenir, les municipalités misent prioritairement sur la construction durable, la végétalisation, les énergies renouvelables, les mobilités douces et la gestion circulaire des déchets. Ce phénomène est observable partout dans le monde, de New-York à Mexico, de Paris à Berlin, de Singapour à Tokyo. 

Dans ce contexte, les magasins physiques présents dans les centre-villes et dans les banlieues, qui sont des éléments urbains à part entière, vont devoir, tôt ou tard, suivre le mouvement. Dès lors, comment les commerces pourraient-ils passer au vert ? A quels changements majeurs pouvons nous nous attendre ? A quoi ressemblera le retail à l’heure des villes bas carbone ?

 

Points de vente à impact environnemental réduit.

 

Première évolution, l’immobilier de commerce est en train de cheminer vers une meilleure prise en compte des enjeux climatiques. En Angleterre, le groupe Morrisons, quatrième plus importante chaîne de supermarchés du Royaume-Uni, a inventé le premier point de vente à impact environnemental réduit… Avec un bâtiment à haute efficacité thermique, des panneaux photovoltaïques installés sur son toit, des produits en vrac et d’origine locale, une réduction drastique des emballages plastique, des réfrigérateurs alimentés au CO2 issu des déchets agricoles, un système de récupération des eaux de pluie, ce « low impact store » arrive à réduire de 43% ses rejets de gaz à effet de serre. 

Même son de cloche ou presque à Marseille ou le centre commercial des Terrasses du Port, situé dans le quartier du Prado, a installé sur son toit une vaste centrale photovoltaïque. Alors qu’il était déjà climatisé par l’eau de la Méditerranée, ce bâtiment de 62 700 mètres carrés, haut lieu du shopping phocéen qui compte entre ses murs 190 boutiques ainsi que de nombreux restaurants et services, fait ainsi efficacement baisser son bilan carbone, tout en réalisant une économie annuelle de 390 000 euros sur sa facture d’électricité. A terme, le site devrait également être équipé d’un micro-méthaniseur et d’un parc d’éoliennes urbaines pour verdir encore un peu plus son mix énergétique. 

A Aubervilliers, près de Paris, le centre commercial Le Millénaire avait été précurseur de ce mouvement en recevant, il y a déjà quelques années, la certification BREEAM (Building Research Establishment Environmental Assessment Method), un des meilleurs référentiels pour la construction durable. 

Preuve que cette tendance est tout sauf un effet de mode, les professionnels du BTP proposent des certifications environnementales spécifiques au retail. En complément du label « HQE Commerce », le « Label bâtiment bas carbone pour le commerce » mis au point par l’Association pour le Développement du Bâtiment Bas Carbone (BBCA), est disponible depuis fin 2022. 

 

Pôles commerciaux végétalisés.

 

Autre inflexion notable, celle de la végétalisation des infrastructures de vente. En ville, le pouvoir des plantes pour lutter contre le réchauffement climatique est désormais bien connu car elles permettent de faire baisser naturellement la température des bâtiments, de rafraîchir les îlots de chaleur, de créer des zones ombragées pour protéger les citadins des rayons du soleil et d’absorber le CO2 présent dans l’atmosphère grâce à la photosynthèse. C’est un moyen particulièrement efficace pour adapter le commerce physique à l’augmentation des températures. 

Dès 2015, la Loi pour la reconquête de la biodiversité avait d’ailleurs imposé aux nouveaux centres commerciaux d’intégrer sur leurs toitures des dispositifs végétalisés afin de garantir une meilleure isolation thermique, de même que dans leurs parkings pour préserver les fonctions écologiques des sols.

Avec un coup d’avance, le centre commercial Beaugrenelle avait inauguré en 2013 la plus grande toiture végétalisée de Paris, avec 7000 mètres carrés de verdure parsemés de nichoirs pour les oiseaux afin de développer la biodiversité en milieu urbain.

Démonstrateur pertinent de ce virage vers la nature, le centre commercial So Ouest fait la part belle à une scénographie écologique et verdoyante. Situé à Levallois-Perret à quelques encablures de la capitale et fort de 7,4 millions de visites annuelles, il propose des espaces de circulation végétalisés, des zones de détente agrémentées par la présence de nombreuses plantes ainsi qu’un tunnel de verdure rafraîchissant et dépaysant pour passer d’une galerie marchande à une autre. 

Une végétalisation qui a également pour but de renforcer l’attractivité des points de vente, l’étude « Qu’attendent aujourd’hui les Français des pôles commerciaux ? », réalisée par l’Observatoire Société et Consommation, révélant que 53% de nos concitoyens plébiscitaient les commerces  qui accordaient une plus grande place à la nature. 

 » Le choix des plantes et des matières naturelles, telles que le bois par exemple, est primordial. L’objectif est de disposer les végétaux de manière à créer des installations modulables, fonctionnelles et de répondre aux enjeux de renouvellement régulier des centres commerciaux. » précise Hugo Meunier, fondateur de Merci Raymond, une startup qui aide les entreprises à connecter leurs activités à la nature et qui avait été chargée de végétaliser So Ouest. 

Et pour coller au plus près à la trajectoire des villes bas-carbone, l’agriculture urbaine fait également partie de l’équation. En 2022, So Ouest a inauguré un potager sur son toit pour faire pousser des produits bio. Même dynamique à Marseille ou le Centre Prado Shopping s’est lui aussi doté d’un potager et propose des ateliers d’initiation à la plantation. 

 

Nouvelles offres.

 

Dernier levier majeur de transformation pour adapter le retail à un modèle urbain respectueux de l’environnement, le choix des produits commercialisés joue un rôle essentiel dans la décarbonation des points de vente. Outre le problème posé par le plastique, c’est toute la chaîne de fabrication et d’approvisionnement qui doit être prise en compte. 

« Les retailers peuvent accélérer la transition écologique grâce à leur sélection de produits. Dans un bilan carbone, les camions et les magasins ne représentent au mieux 10% des émissions de CO2, les 90% restants viennent de l’offre » explique Olivier Messager, fondateur d’O2m Conseil, un cabinet spécialisé dans la RSE. 

A ce titre, le principe du kilométrage alimentaire a mis en lumière une triste réalité : la distance parcourue par un produit acheté dans un supermarché européen est en moyenne de 2 400 kilomètres, ce qui représente presqu’une tonne de gaz à effet de serre rejeté dans l’atmosphère. Pour chaque produit donc.  

Il faut nécessairement verdir les propositions. Et c’est d’ailleurs une attente forte. En 2020, l’étude “How we shop” effectué par Unibail-Rodamco-Westfield (URW), indiquait que 71% des consommateurs européens souhaitaient que les produits soient fabriqués directement en magasin pour réduire le volume de déchets, et que 50% d’entre eux optaient désormais pour des producteurs locaux. 

 

Cela veut dire que demain, le retail devra ménager une place nettement plus importante aux produits qui sont fabriqués à proximité de leur lieu de commercialisation. Privilégier les circuits courts ne sera plus une option. En parallèle, il faudra aussi enclencher une révolution de l’emballage pour en limiter le plus possible le nombre grâce au vrac, tout en bannissant ceux qui sont fabriqués à partir de pétrole. 

A ces changements, il faudra également ajouter la décarbonation de la livraison grâce au véhicule électrique et le recyclage des déchets grâce à l’économie circulaire.  

Les lignes sont en train de bouger. D’ores et déjà, les initiatives qui ont pris forme définissent une nouvelle norme pour le retail  : énergies renouvelables, constructions durables, produits responsables pour que les commerces physiques puissent arriver à des impacts soutenables. Un « New deal » écologique qui va permettre au retail de coller au modèle urbain de demain.