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Quel avenir pour les cryptomonnaies ?

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Alors que les récentes faillites des crypto-milliardaires les plus influents ont montré toute la fragilité d’un système financier encore jeune, l’avenir des monnaies virtuelles fait l’objet de nombreuses spéculations. A quoi peut-on s’attendre ?

 

Le 8 janvier 2009, dans la foulée de la crise des subprimes et du choc économique sans précédent que celle-ci avait provoqué sur le système bancaire international, un mystérieux personnage se faisant appeler Satoshi Nakamoto publiait un livre blanc qui décrivait le fonctionnement du bitcoin, un système de paiement électronique entièrement pair-à-pair, sans tiers de confiance, qui opère sur la blockchain, un réseau décentralisé de stockage et d’échange d’informations. La première cryptomonnaie était née. Alors que fin 2009, un bitcoin valait moins d’un dollar, cet actif numérique allait gagner toujours plus de valeur au fil des ans,  grimpant jusqu’à plusieurs dizaines de milliers de dollars par unité, incitant, avec ce succès impressionnant, à la création d’un grand nombre de cryptomonnaies concurrentes

 

En 2024, il y en a plus de 20 000 disponibles sur le marché, selon les chiffres de la plateforme coinmarketcap.com. Les utilisateurs se comptent quant à eux en centaines de millions à travers le monde, et le phénomène ne cesse de progresser. En 2023, une étude réalisée par l’Association pour le développement des actifs numériques (Adan) en collaboration avec KPMG France révélait que 10 % des Français en possédaient. 

 

Il faut dire que ces nouvelles monnaies présentent de nombreux avantages. La blockchain garantit leur inviolabilité et leur parfaite transparence, tout en leur permettant d’échapper au contrôle des institutions monétaires et bancaires, ce qui en fait à la fois un moyen de paiement hautement sécurisé et peu onéreux. En étant financiarisées, c’est à dire soumises à un cours qui fluctue, montant ou descendant comme le font les actions en Bourse, elles représentent un placement qui peut gagner ou perdre de la valeur, et parfois dans des proportions dantesques, faisant en un claquement de doigt la richesse des uns et la ruine des autres. 

 

Véritable innovation financière dans un société qui est de plus en plus digitalisée, quel pourrait être à terme l’impact de ce système de paiement numérique sur le commerce et sur l’économie ? A quels scénarios les retailers doivent-ils se préparer ? 

  

Une adoption croissante.

 

Les cryptomonnaies ont d’ores et déjà fait leur apparition chez les détaillants. Aux Etats-Unis, Overstock, une plateforme de vente de meubles sur internet, fait partie des premières entreprises à avoir accepté, dès 2014, les paiements en bitcoin, mais aussi en Litecoin (LTC), en ETH et en Monero. Depuis,  Starbucks, AT&T, Microsoft, Amazon, Subway, Shopify, Rakuten, Domino’s Pizzas, KFC ou encore Home Depot ont ouvert grand leurs portes aux cryptos. En 2023, l’étude « Merchants getting ready for crypto » du cabinet Deloitte indiquait que près de 75 % des retailers au niveau mondial prévoyaient d’accepter ce type de règlement dans les deux prochaines années. 

 

« L’adoption croissante des cryptomonnaies par les particuliers, les entreprises et les investisseurs institutionnels montre que les actifs numériques sont de plus en plus acceptés comme forme viable de paiement. Les cryptomonnaies leur offrent un contrôle total sur leurs actifs en leur permettant de stocker des fonds sous leur propre contrôle. Ce facteur contribue au potentiel des crypto-monnaies à s’imposer comme des solutions de paiement de premier plan à l’avenir », explique Aharon Miller, co-fondateur de Oobit, une entreprise spécialisée dans les transactions  en cryptos. 

 

En 2022, Gucci est devenue la première marque de luxe à accepter les paiements en bitcoin dans ses boutiques de New-York, de Los Angeles, de Miami, d’Atlanta et de Las Vegas, avant d’étendre cette commodité au reste de son réseau. Cette même année, Balenciaga, Tag-Heuer, et Hublot ont emboîté le pas à l’enseigne florentine. En octobre 2023, Ferrari a annoncé que l’achat de ses voitures de sport pourrait se faire en bitcoin et en ETH, à condition que ce soit une transaction effectuée aux Etats-Unis. 

 

Pays à la pointe des cryptos, Israël compte plusieurs centaines de bars, de restaurants et de magasins convertis à ce type de paiements,  tandis que l’Inde est récemment devenue le deuxième marché le plus important au niveau mondial avec un volume de transactions de 268,9 milliards de dollars en cryptomonnaies, passant devant le Vietnam, selon le classement « Crypto Index Adoption 2023 ». Les monnaies virtuelles progressent partout, et tout indique que ce n’est qu’un début. 

 

Toujours plus d’innovation.

 

Aujourd’hui, cette pénétration des cryptomonnaies dans les infrastructures économiques traditionnelles, auprès des marques et des entreprises, au sein des magasins physiques et des plateformes de e-commerce, est soutenue par de nouveaux outils technologiques qui ont pour objectif de faciliter leur usage et d’accélérer leur adoption. 

 

Proposée par Binance, la plus grande plateforme d’échange de cryptomonnaies au niveau mondial en termes de volume, Binance Pay est une application de paiement sans contact en cryptomonnaies qui permet de faire des achats chez les commerçants partout dans le monde depuis un smartphone. L’utilisateur scanne simplement un QR Code spécique pour réaliser la transaction, et peut ainsi payer avec plus de 80 actifs différents, dont le bitcoin et l’ETH. 

 

Un cran plus loin, la startup singapourienne Oobit a développé une application permettant aux particuliers d’effectuer des paiements avec des cryptomonnaies depuis les terminaux VISA et MasterCard existants grâce à une carte bancaire paramétrée pour ce type d’opération,  tout en donnant la possibilité aux commerçants de recevoir de la monnaie fiduciaire. Comme Binance Pay, c’est une technologie de change « crypto to fiat » qui convertit automatiquement le bitcoin, ou tout autre cryptommonaie, en dollars, ou en tout autre monnaie institutionnelle, et qui est déjà utilisée par de nombreux consommateurs en Asie, en Amérique latine, au Canada et en Australie

 

En intégrant les cryptomonnaies à leurs technologies, les entreprises de systèmes de paiement, Visa et Mastercard en tête, sont parties prenantes de ces évolutions. Cela vaut aussi pour les banques. En France, les néo banques Revolut, Boursorama, Fortuneo, N 26 et Hello Bank sont ouvertes à ces nouvelles modalités. Revolut propose même à ses clients de faire des placements, avec un choix de 90 cryptomonnaies qui ont été sélectionnées pour être les plus sûres et les plus rentables. 

 

Les établissements classiques, notament SG et BNP Paribas, s’ y sont également mis. C’est également le cas des grandes banques internationales. « Aujourd’hui, toutes les banques américaines ont lancé leur offre en cryptomonnaies, récemment JP Morgan a même affirmé qu’il s’agissait de son actif alternatif préféré », précise Yves Choueifaty, fondateur de Tobam, une startup qui propose des « solutions d’investissement rationnelles à des investisseurs de long-terme dans le contexte de marchés efficients. »

 

Ces actifs intéressent de plus en plus les acteurs de la finance, qui y voient une opportunité pour générer de nouveaux profits. 

 

Une réglementation accrue. 

 

Face à l’essor des cryptomonnaies, et du système financier parallèle qui se développe par leur truchement en échappant au contrôle des régulateurs et des institutions, les gouvernements commencent à mettre en place des réglementations plus strictes pour lutter contre la fraude, le blanchiment d’argent et les activités illicites rendus possibles par ces actifs. 

 

Il faut rappeler ici que, bien qu’elles représentent un moyen pour sécuriser des fonds, les cryptomonnaies, parce qu’elles opèrent sur un marché qui n’est pas régulé, font également le lit des escrocs et des hackers. Aucune blockchain ne protège les utilisateurs des risques de tromperie, d’arnaque ou de mensonge sur la valeur réel d’un actif. Par ailleurs, les faillites retentissantes d’acteurs de première importance, que ce soit Celsius Network, FTX, Alameda ou Terraform Labs, ont montré à quel point l’écosystème était friable, car dépourvu de bouclier réglementaire. 

 

En France, depuis la loi Pacte en 2019, les cryptomonnaies sont intégrées dans le cadre juridique des actifs numériques, et les plateformes d’échange doivent être être enregistrées auprès de l’AMF (Autorité des Marchés Financiers) en tant que PSAN (Prestataire de Service sur Actifs Numériques). 

 

Au niveau européen, le règlement MICA (Markets in Crypto-Assets), adopté en juin 2023, pose un cadre juridique qui réglemente les risques et empêche les utilisations abusives. Stefan Berger, député européen et rapporteur sur le règlement MICA, expliquait, dans le communiqué officiel visant à présenter cette mesure, que « les consommateurs seront protégés contre la tromperie et la fraude, et le secteur qui a été endommagé par l’effondrement de FTX peut regagner confiance. Ce règlement apporte un avantage concurrentiel à l’UE. »

 

Il en va de même en Asie ou il existe des juridictions du même type propres à chaque pays. Ces réglementations, qu’elles soient à l’échelle nationale, continentale ou internationale, sont une bénédiction pour le marché car elles permettent de redorer le blason des cryptomonnaies, de rassurer les investisseurs, et de parer à l’essentiel des dérives. En creux, elles favorisent l’institutionnalisation de ces actifs, et leur intégration aux marchés traditionnels, en offrant une plus grande sécurité et une plus grande conformité avec les instruments financiers. Actuellement, ce marché est donc en phase de normalisation, ce qui représente une nouvelle phase de son développement. 

 

A ce titre, Eric Larchevêque, fondateur de la licorne Ledger, un des plus gros acteurs tricolores, expliquait, lors d’une interview accordée à BFM TV en 2023 que « la prochaine grande étape de l’écosystème sera quand les Etats de premier plan auront des réserves en cryptomonnaies. Cela pourrait arriver d’ici 5 ans. Je pense d’ailleurs que c’est déjà le cas pour certains Etats, hors cas du Salvador, même s’ils n’osent pas l’avouer. Je pense que cela arrivera en raison d’un délitement économique majeur des monnaies. » 

 

Tout indique que les cryptomonnaies sont appelées à jouer un rôle toujours plus important dans l’économie, ce qui aura inévitablement une répercussion sur le fonctionnement du commerce de détail. De fait, les retailers doivent être prêts, dès à présent, à accueillir cette nouvelle modalité de paiement. Cela vaut tout particulièrement pour les acteurs français qui ne sont pas les plus en avance.