Une vision prospective du retail en 2050.
Au mi-temps du 21ème siècle, plusieurs changements majeurs auront transformé en profondeur le retail. Plus digitalisé, plus écologique et plus résilient, le commerce de demain sera très différent de celui que nous connaissons aujourd’hui. Explications.
C’est avec les défis que nous avons à relever que nous construisons actuellement ce qui sera la façon de vendre et d’acheter dans les prochaines décennies. Alors que les progrès fulgurants du numérique, et notamment ceux de l’intelligence artificielle, ouvrent des perspectives toujours plus prometteuses pour les détaillants, la nécessité de repenser les modèles économiques et les chaînes de valeur de façon durable pousse en avant une autre vision de l’avenir.
Demain, en même temps que les retailers devront mieux tirer partie des nouvelles technologies, ils devront aussi accorder plus d’importance au respect de l’environnement et avoir considérablement réduit l’impact carbone de leurs activités. A l’horizon des trente prochaines années, quelles sont les grandes transformations qui auront reprogrammé le commerce ? Comment le retail aura-t-il évolué ?
Ultra-digitalisation.
Il est assez complexe, pour ne pas dire hasardeux, d’imaginer de façon précise la façon dont internet aura évolué en 2050. Ce qui est certain, c’est que l’accroissement du volume de données émises, collectées, analysées et exploitées semble inévitable car le développement de l’intelligence artificielle tire l’innovation et la création de valeur dans cette direction, de même que l’augmentation de la puissance de calcul et des capacités de stockage des terminaux. Les nanotechnologies, l’ordinateur quantique, les IA génératives, le cloud imposent peu à peu de nouvelles règles qui sont en train d’engendrer une accélération considérable de la digitalisation dans tous les secteurs d’activité.
Par ricochet, il est assez aisé, et assez peu risqué, de postuler que les détaillants n’auront pas d’autre choix que de tirer partie des progrès qui auront été réalisés. Le retail sera davantage digitalisé qu’il ne l’est aujourd’hui car la société dans son ensemble le sera elle-même davantage. Pour les marques, cela signifie une intégration nettement plus poussée des nouvelles technologies dans la totalité de leurs processus.
Concrètement, cela veut dire que demain, les magasins physiques pourraient tous être connectés et systématiquement mis en réseau pour former un écosystème global de vente, gage d’une plus grande efficacité commerciale et d’une meilleure gestion des stocks. Les plateformes de e-commerce pourraient gagner en automatisation et en ergonomie, avec une navigation plus intuitive et plus efficiente, et la possibilité de traiter plus de commandes. La mise à profit d’un plus grand nombre de données par des logiciels algorithmiques plus efficaces et plus précis pourrait affiner à des niveaux très élevés la personnalisation des offres et individualiser à l’extrême les stratégies marketing, afin de proposer des parcours d’achat sur-mesure, plus expérientiels, plus spectaculaires et plus fluides. En l’occurrence, c’est une tendance actuelle qui a toutes les chances d’être accélérée par la digitalisation, comme l’explique Valérie Candeloro, directrice marketing France de Mood Media, leader mondial des solutions média en magasin : « Les enseignes sont en train de se réinventer, et on voit clairement un nouveau type de commerce se profiler autour du sur-mesure, de l’immersion, de la communauté et de la commodité.’
Cependant, au mi-temps du siècle, à une époque ou la neutralité carbone ne devra plus seulement être un objectif mais une réalité concrète, la façon dont les retailers utiliseront le digital pourrait avoir radicalement changé. La nécessaire réduction de la pollution numérique a toutes les chances d’imposer l’adoption de solutions vertueuses, à moindre impact. Cela veut dire que les plateformes et les sites devront être éco-conçus pour pouvoir fonctionner avec le moins de bande passantes possible et sans mise à jour, et que les terminaux reconditionnés deviendront la norme. Cela veut dire aussi que le recours à l’IA, particulièrement gourmand en énergie, devra être optimisé et strictement encadré pour éviter toute surconsommation. Un cran plus loin, les retailers pourraient avoir adopté une approche plus sobre de l’IT en mutualisant leurs outils, logiciels, serveurs, appareils, comme cela se fait de plus en plus, afin d’en réduire le coût environnemental. Plutôt que de multiplier les équipements, il s’agira alors de mettre en œuvre une organisation collective, la même application, le même outil, pouvant servir dans plusieurs points de vente, plusieurs départements, plusieurs services.
Ce new deal de la digitalisation du retail devra cependant composer avec une influence nettement plus néfaste du réchauffement climatique sur l’économie, ce qui bouleversera les fonctionnements établis.
Une plus grande résilience.
À mesure que les supply chain mondialisées seront de plus en plus impactées par l’augmentation des températures et par la multiplication des phénomènes météorologiques extrêmes, au point de devenir inopérantes, incapables d’assurer la livraison des marchandises dans les temps impartis et au prix qui a été fixé, rendant ainsi aléatoire toute stratégie de commercialisation, les retailers seront contraints de recourir à des approvisionnements locaux, auprès de sous-traitants et de fournisseurs implantés dans la même zone géographique qu’eux. A ce titre, l’Organisation Météorologique Mondiale (OMM) anticipe que les catastrophes naturelles, dont l’occurrence a été multipliée par cinq depuis les années 80, vont perturber avec toujours plus d’intensité les axes de transports stratégiques, faisant baisser la capacité de chargement des porte-containers et déstabilisant le fret. La logistique va nécessairement devoir réduire son champ d’action.
En 2050, ce resserrement des chaînes de valeur, dont l’ objectif est de garantir le fonctionnement opérationnel des circuits de distribution et des points de vente, aura fait émerger un retail plus résistant face au choc climatique, avec des rouages enracinés au coeur des territoires, mais également plus écologique car plus économe en ressources. La réduction des distances d’approvisionnement sera un puissant facteur de baisse des émissions de CO2.
Par ailleurs, ce commerce désormais en grande partie démondialisé devra avoir achevé sa mue énergétique. Au mi-temps du siècle, dans le cadre de l’Accord de Paris et des stratégies bas carbone mises en place par les pays industrialisés pour contenir l’augmentation des températures, les retailers devront privilégier les panneaux solaires pour alimenter en électricité leurs magasins, et le recours aux motorisations électriques pour équiper leurs véhicules de livraison. En complément, et en fonction de la localisation de leurs points de vente, les détaillants pourraient aussi mettre à profit les autres sources d’énergies renouvelables, que ce soit la géothermie, la biomasse, l’éolien ou l’hydro-électricité.
Ce retail relocalisé et sobre en émissions de CO2 constituera un changement de paradigme, mais il manque encore une brique, et non des moindres, pour bâtir une vision prospective du commerce de demain.
Moins de produits, plus de services.
Dans les décennies qui viennent, l’épuisement continu des ressources en métaux critiques, dont le minage deviendra au fil des ans de plus en plus compliqué et de plus en plus coûteux, aura réduit mécaniquement les capacités industrielles, affectant la production des biens de consommation. En 2015, il y a presque dix ans, Ugo Bardi, chercheur et professeur de chimie à l’Université de Florence, commentait déjà cette tendance à la baisse : « Extraire les minéraux nécessite désormais 10% de l’énergie primaire mondiale, c’est énorme – trois fois la production nucléaire mondiale ! – et ça ne cesse d’augmenter. L’âge des minéraux bon marché est fini, on ne peut plus se permettre de les gaspiller. » Depuis, le situation a largement empiré et les stocks techniquement et économiquement exploitables s’amenuisent dangereusement. Demain, ils seront réduits à presque rien. En 2050, il devrait rester à peine 10% de l’aluminium, du cuivre, et du cobalt contenus sous terre. Moins de métaux signifiera nécessairement moins de produits neufs pouvant être manufacturés, assemblés et vendus.
À cela, il faut ajouter que l’abandon progressif des hydrocarbures, aussi bien comme source d’énergie que comme intrant industriel, condition indispensable à la décarbonation, compliquera la commercialisation d’un grand nombre de biens de consommation incluant du pétrole dans leur fabrication, et la liste est longue… Cela va des vêtements aux produits de beauté, du dentifrice aux adhésifs, et des verres de lunettes aux appareils électroménagers.
En réalité, le tournant vers la seconde main que l’on observe actuellement, avec une importante montée en puissance du réusage chez de nombreuses enseignes, n’a pas uniquement une vocation écologique mais doit permettre aussi, tout comme le principe de durabilité, de garantir la pérennité du commerce dans un monde ou le produit neuf sera devenu rare, pour ne pas dire l’exception. C’est ce qui fait que demain, la principale activité des détaillants pourrait être de vendre des services. A mesure que l’offre en nouveautés diminuera, le retail devra réorienter une grande partie de ses propositions vers la réparation, l’entretien, le conseil et la maintenance.
En 2050, dans un monde qui sera devenu climatiquement instable, le retail aura repensé son organisation et fait évoluer son fonctionnement, sans véritablement avoir le choix de faire autrement. C’est dès à présent que les acteurs du secteur doivent opérer les transformations qui s’imposent, car si les différents bouleversements à venir sont connus, les différentes solutions à mettre en œuvre le sont aussi.