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Frédérique Picard, Carel : « Nos valeurs et notre savoir-faire nous soutiennent dans un marché changeant. »

Frédérique Picard Carel
Frédérique Picard, Carel
© Carel

La digitalisation toujours plus marquée de la société transforme en profondeur nos habitudes d’achat, et fait le jeu des acteurs de la fast fashion qui misent sur les réseaux sociaux et sur tout ce que les nouvelles technologies peuvent offrir pour atteindre efficacement les consommateurs. Comment résister à ce phénomène ?

 

L’intemporalité. Voilà une valeur que les marques semblent avoir oublié à l’heure ou la mode se démode toujours plus vite, où les collections se succèdent à un rythme effréné et où le train des tendances est désormais plus véloce qu’un TGV.  

Pourtant, l’intemporalité est une arme redoutable. Elle permet à une enseigne de penser le temps long, d’inscrire ses collections sur la durée, de faire partie du quotidien des consommateurs durant toute une vie, parfois même sur plusieurs générations. Elle permet de se maintenir contre vents et marée face aux turbulences du siècle, aux nouvelles habitudes, aux changements sociétaux,  et de résister à cet affolement, à cette accélération sans fin qui est désormais la norme pour les acteurs de la mode. Depuis que le digital est devenu un levier incontournable pour séduire les consommateurs, tout  va plus vite, beaucoup plus vite même, et parfois beaucoup trop vite pour certaines marques. 

Et si, dans le contexte actuel, l’intemporalité était le meilleur moyen de réinventer la mode et de résister à la montée en puissance de la fast fashion et de l’ultra fast fashion ? C’est le pari que fait Carel. Explications avec Frédérique Picard, présidente de ce groupe familial qui existe depuis plus de soixante-dix ans. 

 

Comment est née Carel ? Quelle est l’histoire de votre marque et qui sont vos clientes ?

 

Carel est né en 1952. Notre première boutique se situait boulevard Saint-Michel, à deux pas de la Sorbonne. Notre création est marquée par la période d’après-guerre. La chaussure Carel était au service de la femme émancipée, une hauteur et un chaussant parfait pour leur permettre de trotter toute la journée.

La force de Carel est de proposer, en plus du confort, des nouveaux modèles funs, innovants et pops. Cette innovation nous a permis d’être la première marque de chaussures à avoir un stand aux Galeries Lafayettes dans les années 60. Par la suite, Air France a choisi de chausser ses hôtesses de l’air en Carel, appuyant notre place de chausseur iconique Français.

 

Qu’est ce que qui vous différencie des autres marques ?

 

Carel continue de se démarquer d’une concurrence plus abordable grâce à nos modèles

iconiques et très désirables, notre qualité et notre chaussant reconnus. Nous travaillons depuis 60 ans avec les mêmes ateliers. En Italie pour 90% de notre production et 10% en Espagne et en France pour des produits plus spécifiques. Nos valeurs et notre savoir-faire nous soutiennent dans un marché changeant. Notre évolution se tourne vers un futur toujours plus écoresponsable, grâce à nos cuirs végétaux notamment.

 

La fast fashion a introduit un modèle redoutablement efficace : celui du renouvellement permanent des collections pour pouvoir répondre à toutes les attentes, ce qui permet par ailleurs de créer constamment le buzz sur les réseaux sociaux. Est-ce que cette stratégie pourrait vous inspirer ?

 

Nos collections se détournent en fonction de nos modèles iconiques et grâce à nos archives, nous utilisons des stocks dormants pour pouvoir créer plus. Notre modèle n’est donc pas victime de l’accélération du monde de la mode. D’autant plus que nos chaussures sont conçues pour être portées toute une vie et pour toutes les occasions. C’est cette intemporalité qui en fait la force et le charme .

 

Alors que les générations ultra-connectées des millennials et des Z vont représenter entre 65 et 70% des consommateurs d’ici 2025, et qu’une grande partie de leurs décisions d’achat sont prises sur Tik Tok ou sur Instagram, comment établissez-vous le contact avec ces nouveaux clients ?

 

Notre compte Instagram atteint aujourd’hui presque 160k et notre compte tiktok est en plein essor. Ils nous permettent de montrer à nos clientes la versatilité de nos modèles, pour les inspirer et leur transmettre nos valeurs.

Nous sommes entourés de « Carel girls », nos ambassadrices, qui évoluent avec le temps. Qu’elles soient chanteuses, influenceuses ou actrices, elles prônent nos valeurs du tapis rouge de Cannes aux rues parisiennes en passant par une scène de concert. Parmi les plus fidèles, nous comptons Clara Luciani, Alexa Chung, Lily-Rose Depp et Isabelle Huppert. Nous sommes apparus dans Emily in Paris et le biopic Bardot, ce qui nous permet de séduire une nouvelle clientèle.

Pour garder des prix justes, nous ne nous lançons pas dans de grandes machineries publicitaires, comme ce que font les grands groupes. Nous ne voulons pas proposer à notre clientèle un prix gonflé par le marketing, mais plutôt le juste prix pour des modèles créés à Paris et faits à la main en Italie.

Nous effectuons aussi beaucoup de collaborations, ce qui nous permet de diversifier nos offres. Par exemple, nous avons créé des lunettes de soleil et des sacs avec Jimmy Fairly. Cela nous permet aussi de rhabiller nos modèles iconiques, avec Gucci Vault et d’asseoir nos qualités écoresponsables avec Imparfaite plus dernièrement.

 

Vous avez récemment lancé l’initiative « Le livre échange » qui permet aux clientes de s’échanger leurs lectures favorites en leur offrant un livre lors d’un achat en boutique. Est-ce que renforcer les liens qui unissent votre communauté et réenchanter l’expérience d’achat est un moyen pour vous adapter aux bouleversements du marché ?

 

Il est très important de garder le lien avec nos clients historiques mais aussi notre nouvelle clientèle, car elle est changeante… Notre cœur de cible est aux alentours de 25 ans maintenant. En plus d’être plus jeunes, elles sont internationales, c’est pourquoi nous avons ouvert une nouvelle boutique à Séoul. L’opération « Livre échange » est arrivée assez naturellement, notre histoire étant liée à celle de la Sorbonne. Notre première boutique était au pied de cette université. Et nos premières clientes étaient ses professeurs et élèves. nous sommes une marque intellectuelle, et écoresponsable. Cette opération est donc le mélange parfait pour nous.

 

Quels sont les projets à venir de Carel ? Quelles sont vos ambitions pour les prochaines années ?

 

Continuer à rendre Carel désirable en alliant héritage et modernité tout en prônant nos valeurs de durabilité et de circularité. Nous avons aussi pour but de mettre à l’honneur et de toujours faire évoluer notre maroquinerie.

Cette interview est tirée de notre ouvrage « Le prêt-à-porter, chronique d’un déclin annoncé » qui décrypte la crise sans précédent qui frappe le secteur.

Une analyse notamment enrichie par les interviews et témoignages de Frédéric Godart, sociologue de la mode ; Yann Rivoallan, Président de la Fédération française du prêt-à-porter féminin ; Sophie Bocquet, DG du réseau Citadium ; Frédérique Picard, présidente du groupe Carel :