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Engouement des jeunes américains pour les “shopping malls” : pourquoi les Gen Z se prennent pour des Xennials.

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n France, le Black Friday affiche un bilan en demi-teinte. Ce n’est pas le cas aux États-Unis, où les clients, notamment et surtout les plus jeunes d’entre eux, se sont rués dans les centres commerciaux. Et si, finalement, la génération Z rêvait d’une jeunesse semblable à celle des Xennials ? Et si, après ces deux années d’engourdissement lié aux différentes crises successives, les jeunes souhaitaient pouvoir (enfin !) expérimenter les choses du réel, que ce soit dans leurs loisirs ou dans leurs habitudes d’achat ?

« L’un des points forts de ce Black Friday a été le taux de participation élevé de la génération Z dans les magasins », explique cette semaine Kristen Classi-Zummo, analyste de l’industrie du vêtement chez NPD, dans des propos relayés par CNN“Les jeunes consommateurs ont inondé les centres commerciaux, assimilant le Black Friday à un événement social. Ils sont venus tôt, ils sont venus avec des amis et ils sont venus faire du shopping”. Une scène familière et évocatrice de souvenirs pour celles et ceux qui ont grandi dans les années 80 et 90, période durant laquelle et ce, particulièrement aux États-Unis, le centre commercial représentait une source inépuisable de loisirs et de rencontres pour les adolescents.

Dans les années 2000, la série How I Met Your Mother s’est amusée à parodier la “génération MTV” et l’un de ses loisirs favoris : se rendre au shopping mall entre amis.

Il semblerait que, depuis l’arrivée de séries telles Stranger Things, dont l’intrigue se déroule – par ailleurs sans raison scénaristique réelle – au milieu des années 80, les Gen Z rêveraient d’emprunter la Delorean de Doc et Marty pour retourner vivre à la fin du siècle dernier et profiter d’un monde sans TikTok ou Instagram. Un monde où on échange “en vrai”, où on passe du temps à discuter au téléphone et où on se rend au centre commercial pour, non seulement, faire du shopping, mais surtout pour passer un bon moment entre amis.

Une nostalgie qui répond à un véritable besoin.

Mais de Stranger Things ou de ce goût des Gen Z pour les années 80-90, lequel est l’œuf ? Lequel est la poule ? La série leur a-t-elle révélé un monde plus simple, plus authentique, qui a su les attirer et faire grandir, chez eux, une espèce de fascination nostalgique ?  Ou répondait-elle simplement à un besoin sous-jacent qui ne demandait qu’à s’exprimer pleinement ? 

Selon la docteure et chercheuse en psychologie Krystine Batcho, cette passion pour les années 80-90 répond à un véritable besoin chez les jeunes. « Pour de nombreuses personnes, en particulier les jeunes adultes ou ceux qui ne disposent pas de filet de sécurité financière, les mauvaises conditions économiques actuelles suscitent la crainte de ne pas pouvoir faire face à des obligations telles que le paiement du loyer ou des études”, a-t-elle expliqué récemment au magazine Insider. “La nostalgie est un refuge, car les gens se tournent vers les sentiments de confort, de sécurité et d’amour dont ils ont bénéficié dans leur passé”. 

Plus qu’un retour vers leur propre passé, les gen Z trouvent refuge dans les souvenirs d’enfance et d’adolescence des Xennials, cette micro-génération, née entre le milieu des années 70 et le début des années 80, qui a goûté, durant ses jeunes années, à l’apparente simplicité et au confort – pour ne pas dire au réconfort – du monde d’avant et qui ensuite, dès l’aube de son passage à l’âge adulte, a pu tirer partie de la pléthore de possibilités offerte par l’avènement des nouvelles technologies…tout en gardant un pied dans la réalité d’un monde exempt de réseaux sociaux. 

Chacun sur son écran, chacun dans sa bulle.

Outre les incertitudes et les craintes liées à la crise économique, les restrictions de déplacements mises en place durant la pandémie ont, elles aussi, eu un impact important sur la génération Z (et pas seulement). Selon une enquête menée par l’IFOP pour la Fondation Jean Jaurès, 45% des Français sont atteints d’une “épidémie de flemme” au sortir de la pandémie. De même, les confinements, les couvre-feux et la généralisation du travail à distance ont créé une sorte d’amnésie collective, où nous peinons à nous souvenir de nos activités de la veille, où nous oublions nos rendez-vous, ou encore les anniversaires de nos proches. La cause de cette amnésie n’est autre que la monotonie. Lors du premier confinement, nous sommes entrés, pour une large part d’entre nous, dans une routine “boulot/école, canapé, dodo”, où binge watcher des séries sur des plateformes de streaming constituait presque notre seule distraction. Distraction dont le caractère redondant n’a fait, en réalité, qu’endormir un peu plus notre cerveau, altérant notre mémoire et notre envie de bouger ou de socialiser. 

Prenons l’exemple d’un jeune qui fêterait ses 15 ans en 2023. Scolarisé en troisième cette année, ce même jeune entrait en sixième à l’automne 2019. Les confinements, l’école à la maison et les couvre-feux ont ainsi rythmé ses années collège, le privant, de fait, des activités auparavant chères aux adolescents de son âge. Et ce sont les ordinateurs, les tablettes et surtout les smartphones – qui occupaient alors déjà une place prédominante dans les loisirs des jeunes –  qui se sont entièrement substitués à ces activités. Durant la pandémie, ce jeune de 15 ans, mais aussi un grand nombre de personnes toutes générations confondues, n’ont existé socialement qu’à travers Zoom, Whatsapp, Instagram ou TikTok, chacun sur son écran, chacun dans sa bulle.

Une génération en manque de “stimuli du réel”.

Parfaite antithèse de cette situation d’isolement et symbole d’un besoin de vivre sa vie à fond et de profiter d’expériences inoubliables, le teen movie culte des années 80, Ferris Bueller’s day off (La folle journée de Ferris Bueller en français) pourrait être le porte-drapeau nostalgique de cette génération en manque de “stimuli du réel”. 

Il en va de même pour un autre film culte, The Breakfast Club, dans lequel se tissent des liens d’amitié entre des adolescents que tout oppose. À l’heure où les réseaux sociaux favorisent, à travers leurs algorithmes, l’entre-soi et la fragmentation – qu’elle soit générationnelle, culturelle ou idéologique – des populations et, notamment, des populations les plus jeunes, l’histoire racontée par The Breakfast Club, dans laquelle de nombreux adolescents de l’époque se sont reconnus, ferait aujourd’hui figure d’utopie voire de science-fiction. 

Elle n’est finalement pas étonnante, cette nostalgie des plus jeunes pour une époque qu’ils n’ont jamais connue, où on allait faire du shopping et passer du bon temps entre amis, en ville ou dans des centres commerciaux en partageant un verre, un repas sur le pouce ou en se rendant dans une salle de jeux ou au cinéma. 

 

Recréer les interactions sociales de leurs aînés en mimant leurs habitudes d’antan.

 

Âge d’or du consumérisme, les années 80 et 90 ne sauraient pourtant faire figure de modèle pour dessiner le monde de demain. Au contraire, en mimant le vécu passé de leurs aînés, les Gen Z touchent du bout des doigts une époque qu’ils n’ont pas connue…et qu’ils ne connaîtront jamais. 

Sorti en 1995, Clueless a su parfaitement dépeindre, à travers une adaptation (très) libre d’un roman de Jane Austen, la superficialité et le consumérisme triomphant  des années 90.

Au-delà des habitudes de consommation d’alors, ce sont les modes de vie et, plus particulièrement, les interactions sociales induites par ces mêmes habitudes qu’une partie de la génération Z semble chercher à recréer éperdument. Preuve que, bien plus qu’un moyen d’acheter des produits, le commerce reste, aussi et surtout, un vecteur majeur de socialisation pour les Gen Z.

Finirons-nous tous par passer notre temps libre dans le métavers pour nous adonner à nos loisirs ou pour faire du shopping, comme certains le prédisent ? Si l’on en croit le besoin, de plus en plus criant, des plus jeunes d’entre nous d’expérimenter les choses du réel, peut-être pas finalement. Surtout que pour l’heure, seuls 5% des Gen Z américains s’y sont déjà rendus… Le commerce IRL* a décidément de beaux jours devant lui !

*Accronyme signifiant « in real life » ou « dans la vraie vie » en français.