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Sophie Bocquet, Citadium : « Nous voulons sacraliser le magasin physique comme lieu de découvertes. »

Sophie Boquet, Directrice générale de Citadium.
© DR

Alors que les nouveaux consommateurs de textile sont de plus en plus connectés et que la digitalisation de l’acte d’achat ne cesse de progresser, notamment avec l’arrivée de l’ultra fast fashion, le retail physique doit innover pour rester attractif. Comment y parvenir ? Le réseau Citadium a trouvé la bonne formule.

 

Il en va d’une clientèle comme d’une tendance. Celle qui arrive remplace celle qui est là dans un renouvellement perpétuel, dans un mouvement mécanique et sans fin, régulier et inflexible. 

Cela vaut bien évidemment pour les générations ultra-connectées des Z et des Alpha qui représenteront la grande majorité des consommateurs dans les prochaines années, et que les marques cherchent aujourd’hui à séduire à tout prix. En véritable « digital natives », elles sont les premières à avoir grandi avec un smartphone entre les mains, les premières à privilégier l’achat sur internet au retail physique, les premières à penser que le virtuel est aussi important que le réel. Et certainement les premières à avoir déserté les points de vente d’un prêt-à-porter tricolore qui apparaissait à leurs yeux comme poussiéreux et dépassé, en étant le symbole de l’époque révolue des achats en centre-ville, alors que les acteurs de la fast fashion cochent toutes les cases pour répondre à leurs attentes de modernité. 

A partir de là, lorsque l’on est une enseigne positionnée sur le milieu de gamme qui dispose de nombreux magasins physiques, comment fait-on pour parler à ces nouveaux clients ? Comment communique-t-on avec eux ? Comment décode-t-on leurs envies ? Est-ce que le digital est la seule option sur la table pour établir le dialogue et faire valoir son offre ? Éléments de réponse avec Sophie Bocquet,  directrice générale du réseau Citadium, une enseigne qui a su se renouveler pour coller à son époque.  

 

Pouvez-vous nous rappeler en quoi consiste votre proposition de valeurs ?

 

Citadium existe depuis 2000. C’est la destination préférée des 15/25 ans pour des clients qui sont amateurs de street culture, et qui recherchent une expérience de shopping différente. Notre offre tourne autour de deux grandes catégories qui sont le streetwear et les sneakers, que nous complétons avec des livres, de l’art, de la déco…. Nous sommes véritablement un lieu de rendez- vous pour cette génération. Les jeunes aiment se rencontrer dans nos points de vente, et discuter avec nos vendeurs dont ils se sentent proches…. L’ âge moyen d’un collaborateur à la vente chez Citadium est en effet de 23 ans, ce qui leur permet d’avoir une vraie complicité avec nos visiteurs. Pour affiner notre offre, nous avons développé tout un écosystème autour du retail. Nous avons un studio de musique intégré à Citadium Caumartin dans lequel nous accueillons des DJs, et ou nous donnons des cours pour apprendre à mixer avec eux. Nous avons également des ateliers autour de la musique. Ces expériences permettent d’enrichir la visite d’un client par d’autres activités. 

 

Vos clients font partie d’une génération ultra connectée qui a pris l’habitude de faire ses achats sur internet, le plus souvent depuis un smartphone…. Alors que la plupart des enseignes misent sur le digital pour les séduire, vous misez donc sur le lieu physique comme lieu d’expériences et de rencontres ?

 

Oui, complètement. Les jeunes continuent à être des passionnés de shopping physique. C’est un hobbie pour eux. Et ils ont plus de temps pour le pratiquer qu’une mère de famille avec trois enfants… Notre promesse, c’est « convenience & discovery ». C’est -à – dire leur faciliter la vie, mais aussi leur permettre de découvrir des choses. Ils vont généralement sur un site web parce que c’est pratique et facile, notamment pour acheter des produits en soldes. Après, ça l’est beaucoup moins pour découvrir des marques qu’ils ne connaissent pas…  

C’est pour ça que dans un magasin physique, le côté discovery est hyper important. Nos clients peuvent toucher le produit, la matière, l’essayer…. Cela fait une grosse différence. Nous voulons sacraliser le magasin physique comme lieu de découvertes, comme moyen d’identifier les nouvelles marques à la mode avant tout le monde pour avoir un coup d’avance. 

 

Citadium est donc d’abord et avant tout un lieu d’expériences ?

 

Oui, tout à fait. Et la meilleure expérience que nous pouvons offrir à nos visiteurs, c’est donc la découverte de nouveaux produits. C’est pour cette raison que nous avons des pop-ups en permanence, aussi bien à Caumartin que dans les autres magasins de notre réseau. Et ces pop-ups changent toutes les trois semaines. Actuellement, nous avons Oakley et Crocs.  En complément, nous organisons régulièrement des évènements.

 

Pour autant, Citadium a 23 ans cette année et les jeunes qui vous suivaient à vos débuts ne sont plus les mêmes que ceux d’aujourd’hui. Comment faites-vous pour séduire les nouvelles générations ? Quelle est votre stratégie ?

 

Nous proposons tout le temps des nouveautés, soit avec des marques émergentes, soit avec des marques qui reviennent. C’est ce renouvellement permanent qui fait notre force. Nous avons un turn over de produits qui est très important. Il y a plein de nouvelles marques qui arrivent en permanence. Il faut donc être à l’affût. Ensuite, il y a beaucoup de marques qui vivent un retour de hype. C’est le cas de New Balance par exemple. Aujourd’hui, c’est redevenu un produit qui est très plébiscité par les jeunes. On pourrait également citer K-Way.  Ce renouvellement permanent veut dire aussi qu’il y a plein de marques dont nous nous séparons. Choisir, c’est forcément renoncer.

 

Est-ce que cela veut dire que vous êtes dans une cartographie constante des nouvelles tendances pour traquer la moindre évolution ? 

 

En effet. Et ce n’est pas un exercice facile… Pour y parvenir, nous commençons par interroger les jeunes, ceux qui ont entre 16 et 20 ans… Ceux qui sont très en avance sur ce qui sera à la mode et qu’on appelle les « early adopters ».

Ils vont nous dire qu’en 2023, ce sont telles et telles marques qui vont être importantes, et qu’on verra ces marques partout dans la rue en 2026. Ils nous mettent sur la bonne voie. Ensuite, nous observons énormément ce qui se passe dans nos magasins. Nous allons avoir des jeunes très branchés, des Coréens, des Américains, des Anglais, qui vont venir faire du shopping chez nous, et nous regardons ce qu’ils portent et comment ils s’habillent. Et puis, nos équipes sont elles-mêmes très jeunes… 

 

Il y a presque une proximité avec le modèle de la fast fashion… Coller à l’époque, débusquer les tendances, proposer une offre en perpétuelle évolution…

 

Je ne le pense pas.  Ce que fait la fast fashion, c’est simplement copier ce qui sort, c’est pour ça qu’elle va très vite. En l’espace de trois mois, elle va proposer un produit et le déréférencer car il ne sera plus à la mode. Nous, ce n’est pas le cas. Cela peut mettre dix ans avant qu’une marque ne quitte notre offre. Nous ne travaillons pas sur du court terme mais sur du long terme. Et quand une marque commence à démarrer, elle va accélérer de façon massive. La courbe de progression est souvent lente au début et très rapide ensuite. Par ailleurs, les gens qui viennent chez nous veulent du streetwear authentique. Ils veulent des produits de qualité. Cela fait donc une grosse différence. 

 

Pour autant, Shein a introduit un changement d’échelle radical, avec des milliers de nouvelles références tous les jours, des prix extrêmement bas et des milliards de vues sur Tik Tok… L’ultra fast fashion est une déferlante qui devrait inquiéter toutes les enseignes qui vendent du prêt à porter ?

 

C’est vrai, mais cela fait déjà plusieurs années que nous avons choisi de sortir de la fast fashion. Nous n’en vendons plus. Nous nous sommes séparés de Pull & Bear en 2020, parce que nous avions justement prévu cette accélération. Et pourtant nous faisions un chiffre énorme avec eux… Mais ce modèle nous tirait vers le bas. Nous avons pris la bonne décision car il est très difficile de lutter contre Shein. Nous avons pu éviter cet écueil grâce à notre positionnement haut de gamme et genderfluid, mais aussi plus responsable car nous avons arrêté de vendre de la fourrure. Nous avons ce côté très engagé. Nous proposons des produits de bonne qualité. Nous n’allons pas commercialiser des produits pas chers. Ça ne nous correspond pas.

 

Quels sont les objectifs de développement de Citadium ?  Quels sont vos nouveaux projets ?

 

Nous allons mettre un coup d’accélérateur sur le e-commerce et sur l’omnicanalité car nous avons pris du retard sur le digital. Pour tisser un lien plus fort avec nos clients, nous avons lancé un programme de fidélité qui s’appelle Planète C. A partir de mi -juillet, nous allons tester un dispositif qui permettra au vendeur de commander en ligne un produit lorsqu’un client ne l’aura pas trouvé en magasin. C’est assez basique, mais nous ne l’avions pas. Et nous travaillons actuellement sur de nouveaux projets de développement, soit dans des grandes villes,  soit éventuellement à l’international. 

Cette interview est tirée de notre ouvrage « Le prêt-à-porter, chronique d’un déclin annoncé » qui décrypte la crise sans précédent qui frappe le secteur.

Une analyse notamment enrichie par les interviews et témoignages de Frédéric Godart, sociologue de la mode ; Arnaud Marion, Fondateur de l’IHEGC (Institut des hautes études en gestion de crise) ; Yann Rivoallan, Président de la Fédération du prêt-à-porter féminin ; Frédérique Picard, présidente du groupe Carel :