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“100 20th Century Shops” : un livre en hommage aux magasins du XXe siècle.

© Batsford

L’expérience des clients au moment de faire leurs achats dépend totalement de l’organisation interne de l’espace, une organisation qui permet de donner vie à l’ambiance et à l’environnement recherchés. L’objectif est de présenter au mieux les gammes de produits du vendeur. La structure physique de ces bâtiments est, quant à elle, bien souvent ignorée. Les consommateurs ne se rendent pas compte de leurs qualités architecturales.

 

Un livre à paraître cherche à renverser la situation. Il s’agit de l’ouvrage “100 20th Century Shops” (100 magasins du XXe siècle), publié (en anglais) chez Batsford le 9 novembre. Ce livre a été écrit par la Twentieth Century Society, dont l’objectif est de protéger les bâtiments présentant une architecture remarquable et construits à partir de 1914. Cet ouvrage nous dévoile que de nombreux bâtiments, situés dans les rues commerçantes du Royaume-Uni, sont menacés par des promoteurs immobiliers.

 

Mais pourquoi les clients commenceraient-ils à s’inquiéter du sort de ces bâtiments, si jusqu’à présent ils les ont ignorés ? Selon les auteurs, avec le changement de rôle des magasins et l’adaptation nécessaire à un monde où les canaux de vente se sont multipliés, il faudrait au moins discuter des meilleures manières de réutiliser ces bâtiments existants, plutôt que de simplement les détruire. Le risque pour le pays serait bien sûr de perdre des magasins, mais aussi l’histoire de ces bâtiments.

 

La Société a choisi 100 bâtiments construits au cours du XXe siècle : des magasins qui le sont restées, des magasins transformées ou des bâtiments qui sont devenus des points de vente et le sont encore aujourd’hui. Ils ont tous un point commun : leurs caractéristiques les distinguent des bâtiments commerciaux habituels.

 

L’ouvrage est divisé en six périodes. Pour chacune d’entre elles, les auteurs ont sélectionné des bâtiments uniques. Le profil de chacun de ces bâtiments est dressé, avec une photographie actuelle, et parfois des images d’archives qui les montrent dans toute leur splendeur. Chaque présentation se lit facilement et bien que les « portraits » se concentrent surtout sur les caractéristiques architecturales des bâtiments, ils donnent aussi assez d’autres informations pour satisfaire ceux qui s’intéressent au monde de la vente. 

 

Le plus instructif ? L’incroyable diversité des bâtiments présentés. L’ouvrage présente un large éventail de bâtiments : des magasins majestueuses et uniques, comme Heal’s, Vigo House sur Regent’s Street (qui accueille aujourd’hui Burberry) et Boots à Bexhill-on-Sea, avec son style moderne, en passant par de petits commerces indépendants comme Kennedy’s Sausages dans le sud de Londres, Birds Bakery à Nottingham et Oakwood Fish Bar à Leeds. 

 

Ce livre permet de choisir une page au hasard et de se plonger dans l’histoire du bâtiment présenté. Nul doute que cette stratégie fera découvrir de nouvelles perles rares aux lecteurs et apportera aussi des informations passionnantes sur des magasins qu’ils pensaient peut-être bien connaître. J’ai découvert plusieurs magasins de vêtements pour hommes Burton, construites à partir des années 1930, qui proposaient souvent des salles de billard au premier étage, la preuve que l’association vente et loisirs ne date pas d’hier.

 

Le grand magasin Derry & Toms sur Kensington High Street montre bien que les commerces peuvent vivre plusieurs vies : le bâtiment a accueilli l’enseigne Barkers, ensuite le magasin Biba et aujourd’hui des marques très connues, qui ont investi le rez-de-chaussée. Le plus bel exemple du changement de rôle des magasins est certainement le magnifique bâtiment Art déco du magasin Havens à Westcliff-on-Sea. D’abord grand magasin familial en 1901, il a connu plusieurs évolutions, avant de devenir aujourd’hui une boutique hybride, un centre communautaire, un café, des salles de répétition et un espace pour les étals du marché.

 

Les dernières parties du livre, dédiées aux années 1970-1979 et à partir des années 1980, soulignent la montée en puissance des centres commerciaux et leur place prépondérante dans le paysage commercial. Et ce dans et hors des centres-villes. Il est clair que c’est pendant les années 1970 que de nombreuses structures originales ont vu le jour : le béton occupait alors une place prépondérante. Beaucoup de personnes trouvent ces structures brutales. Nous pouvons par exemple citer le centre commercial de Blackburn, le marché Queensgate à Huddersfield et le Centre Irvine en Écosse. Qu’on les aime ou pas, impossible de nier leur originalité et la manière dont elles sont devenues synonymes de cette période de l’histoire de la vente.

 

Parmi les créations remarquables les plus récentes, nous pouvons citer le magasin Selfridges de Birmingham, absolument incroyable, dont la surface extérieure est recouverte de 15 000 disques d’aluminium anodisé qui en font l’un des magasins les plus originaux du Royaume-Uni. Sa forme extérieure, fluide et ondulée, se retrouve à l’intérieur avec la forme de vague des étages. Le dernier bâtiment présenté est tout aussi impressionnant. Il s’agit de Coal Drops Yard à King’s Cross, à Londres. Ces anciens bâtiments industriels qui servaient à la gare ferroviaire accueillent aujourd’hui des commerces indépendants haut de gamme ainsi que plusieurs bars et restaurants.

 

En plus de ces 100 « portraits », l’ouvrage propose aussi plusieurs chapitres écrits par des experts et portant sur des aspects clés du secteur de la vente au XXe siècle. Ces chapitres rendent ce livre bien plus intéressant pour le grand public.

 

Ils sont à la fois instructifs et faciles à lire. Le chapitre portant sur les marchés, les galeries marchandes, les zones commerciales et les centres commerciaux montre que l’avènement de la voiture a amené à la création de zones commerciales, pour la sécurité des piétons, et que le premier centre commercial avec de grands magasins en vedette date de 1951 aux États-Unis, un modèle ensuite largement repris au Royaume-Uni. Le premier centre commercial véritablement clos a été ouvert dans le quartier Elephant & Castle, dans le sud de Londres, en 1962. À l’époque, les centres commerciaux étaient plutôt des destinations de loisirs, et non des endroits où acheter ses produits de première nécessité. 488 centres commerciaux ont été construits entre 1965 et 1983. Voilà un chiffre qui montre le grand succès connu par ce modèle pendant des décennies.

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Le chapitre portant sur le « mouvement coopératif » et ses magasins dresse le portrait d’un modèle très populaire. En effet, le Groupe Co-op avait réussi à attirer six millions de membres à la fin des années 1930. À l’époque, un magasin sur 30 était un point de vente Co-op. Il va sans dire que le mouvement comptait de nombreux magasins différents, dont beaucoup disposaient de caractéristiques architecturales fortes. Certains sont d’ailleurs présentés dans le livre. C’est au début des années 1960 que le nombre de magasins Co-op en Angleterre a atteint son pic (28 000). Cependant, en 1985, ce nombre avait fortement diminué, pour atteindre 3 000 seulement. Aujourd’hui, cette diminution se remarque par le fait que beaucoup de ces bâtiments accueillent désormais d’autres vendeurs.

 

Sans surprise, ce livre aborde aussi les grands magasins, puisqu’ils ont connu leur ascension et leur chute, toutes deux vertigineuses, lors de la période couverte par le livre. Le premier exemple de ce modèle de point de vente remonte au Bon Marché de Brixton, en 1876. Selfridges, qui a rebattu toutes les cartes, a suivi en 1907 avec sa structure en acier. Les grands magasins se sont ensuite multipliés. Leur nombre a doublé entre 1914 et 1950, jusqu’à atteindre 500. Des innovations y ont été intégrées, comme des ascenseurs, et ont réussi à attirer les acheteurs.

 

Ces magasins ont continué à ouvrir, encouragés à la fin des années 1990 par les règles d’urbanisme au Royaume-Uni qui souhaitaient privilégier la rénovation des centres-villes et non la construction de centres commerciaux excentrés. Cependant, cette tendance a posé de nombreux problèmes lorsqu’Internet a récupéré les ventes des magasins physiques. Depuis, les chaînes de grands magasins continuent à beaucoup en souffrir.

 

[Mettre en avant la situation de Londres dans une autre publication : London’s Lost Department Stores (Les grands magasins disparus de Londres) (publié par Safe Haven). Il vaut la peine d’être lu pour tout savoir sur l’ascension fulgurante et la chute des grands magasins de la capitale.]

 

Cet ouvrage des plus intéressants se termine par un chapitre sur la boutique du XXe siècle et nous en dit plus sur une tendance londonienne, importée de Paris. Cette tendance concernait des bâtiments déjà existants, « habillés » et décorés par des professionnels. Elle a d’abord touché les magasins indépendants de mode, mais s’est ensuite propagée aux autres secteurs, comme la parfumerie, les chapeaux et les accessoires. Swinging London, dans les années 1960, rassemblait les plus beaux magasins du Royaume-Uni, avec les quartiers de Chelsea, Carnaby Street et Mayfair qui accueillaient de nombreux magasins, y compris la fameuse boutique Bazaar de Mary Quant, ouverte en 1955. 

 

Dans les années 1970, c’est la boutique de King’s Road de Vivienne Westwood qui changeait sans cesse de nom et de concept : Let it Rock, Too Fast to Live Too Young to Die, et enfin Sex. Ces transformations et ces changements incessants donnaient toujours envie aux acheteurs et semblent être la solution pour réinventer, aujourd’hui, les magasins physiques. Ce concept nous montre que rien n’est vraiment nouveau. 

Sans nul doute, la Twentieth Century Society sera d’accord : pas besoin de nouveaux bâtiments alors que nous disposons d’autant de joyaux dans nos rues commerçantes, des joyaux qui ne demandent qu’à être transformés ou réhabilités. Ce livre nous apporte des éléments forts en faveur de cette thèse.