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[Dossier] Les petits commerces indépendants sont-ils (vraiment) de retour ? Partie 2.

Avènement des galeries marchandes en ZAC : les centres commerciaux et parkings en centre-ville sont-ils la solution ?

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Il paraît que les petits commerces indépendants feraient (enfin !) leur retour dans nos centres-villes. Un bonne nouvelle corroborée, notamment, par une étude U2P/XERFI, réalisée en janvier 2022, montrant que “la croissance de l’économie de proximité (+11%) a dépassé celle de l’économie française (+7,8%) au cours du quatrième trimestre 2021”. Il faut dire que les Français restent, de leur propre aveu, très attachés à leurs petits commerces : 90% d’entre eux considèrent le commerce de proximité comme vecteur de dynamisme et d’animation pour les territoires, et 87% estiment qu’il crée « du lien social » et symbolise le « vivre ensemble ».

Cet engouement se fait-il concrètement sentir dans le comportement d’achat des clients ? Autrement dit, les Français, notamment celles et ceux qui résident dans et aux abords des centres-villes,  se rendent-ils, désormais, de préférence chez leur petit commerçant pour faire leurs courses, au détriment des grandes surfaces et des acteurs du e-commerce ou, du moins, le font-il de temps en temps, si ce n’est régulièrement ? Si oui, le phénomène est-il global ? Ou, au contraire, est-il spécifique à certains territoires, certaines typologies de quartiers, de communes, d’agglomérations ? Est-il le point de départ d’un changement de comportement profond et durable ? Ou n’est-il que la conséquence, éphémère, de la crise sanitaire et, particulièrement,  de la règle des « 1 km », instaurée durant les confinements et ayant conduit les Français à redécouvrir leurs commerces de proximité ?

Autant de questions qui trouvent potentiellement réponse dans l’histoire du tissu commercial français qui fut marqué, ces cinquante dernières années, par plusieurs (r)évolutions successives, qu’elles soient économiques, sociologiques ou géographiques.

Dans la deuxième partie de ce dossier, je reviens sur les solutions mises en oeuvre dans les années 1970-1980 pour redynamiser les centres-villes français, déjà touchés, à l’époque, par la désertion des clients au profit des zones commerciales périurbaines, et par la fermeture de leurs petits commerces.

L’arrivée de moyennes surfaces spécialisées et le développement de la distribution intégrée aura surtout concouru à la standardisation du tissu commercial des centres-villes.

Dans les années qui ont suivi la mise en place de la loi Royer (1973), visant à limiter la multiplication des implantations de grandes surfaces en zones périurbaines, la plupart des hypermarchés se sont vus dotés de centres commerciaux,  pourvus de boutiques, de services de restauration et de grandes surfaces spécialisées, par exemple, dans l’habillement, les loisirs et l’ameublement. Des grandes surfaces spécialisées qui, au milieu des années 1970, jouissent d’un essor considérable et dont le développement se fera au détriment des petits commerces non alimentaires qui, jusqu’alors, avaient été épargnés par les implantations d’hypermarchés et la massification de la consommation.  

De quoi expliquer pourquoi, à l’aube des années 1980, la redynamisation des centres-villes se révélait déjà être un enjeu de taille pour les municipalités. C’est ainsi que par la suite, à l’instar de Reims, de nombreux centres-villes français ont accueilli un centre-commercial en leur sein. C’est la naissance du Centre Commercial Régional, censé attirer, dans l’hyper-centre de la capitale de région, tous les habitants du territoire.

Pourtant, comme le révèle, dès 1987, une étude menée par la géographe Mireille Bachelard auprès de 15 centres regroupant près de 1 300 points de vente,  “contrairement à leur vocation ‘régionale’, tous les centres ont en réalité un rayonnement d’agglomération.” Quant à l’impact sur les commerçants indépendants et ce, même s’ils sont, pour certains, eux-mêmes présents dans les centres commerciaux, “la part de la distribution intégrée tend à croître au détriment de celle des indépendants.” Selon la chercheuse, l’impact de l’arrivée des CCR en centre-ville a été d’autant plus sensible que “l’offre des nouveaux centres correspond à des spécialités déjà amplement représentées dans le centre des villes.”

Certes, l’ouverture de ces centres a contribué, en un sens, à la redynamisation commerciale  des centres-villes, puisque, selon la même étude, elle a engendré, à l’époque, un accroissement significatif des surfaces commerciales. Néanmoins, l’arrivée de moyennes surfaces spécialisées et le développement de la distribution intégrée aura, in fine, surtout concouru à la standardisation du tissu commercial des centres-villes, ainsi qu’à une gémellité de l’offre entre villes et périphéries. Pourtant, ces deux territoires commerciaux ne devraient-ils pas, par nature, demeurer complémentaires ? En termes de zone de chalandise, d’une part,  et, d’autre part, par rapport aux besoins et attentes des clients ? Une complémentarité, au moins théorique, que pointait le géographe et spécialiste du commerce, Alain Metton, en 1982 : “Il existe entre commerce de centre-ville et commerce de périphérie une complémentarité à la fois technique, sectorielle et spatiale, et le développement des zones piétonnières en centre-ville ne peut être qu’un atout dans harmonisation des deux commerces devant opérer chacun sur leur registre propre (…). Ce nouveau commerce s’est accompagné d’une concentration économique au profit de grands empires de la distribution. Il a également conduit à l’émergence d’une impensable concurrence entre centre-ville et périphéries et a suscité, en retour, un dynamisme novateur dans des centres-villes au commerce menacé.” 

40 ans plus tard, on se demande à quel dynamisme novateur Metton pouvait bien faire référence…  Car indéniablement, au sein de nos agglomérations et, en particulier, dans les plus petites d’entre elles, nos centres-villes se meurent : d’après le Palmarès Procos 2019 des centres-villes commerçants, le taux de vacance commerciale moyen en centre-ville est passé de 7,2% à 11,9% entre 2012 et 2018.  De fait, pas un jour ne se passe sans qu’on nous parle de fermetures de magasins, de villes mortes, d’hyper-centres délabrés voire insalubres. 

Le caractère non différenciant de l’offre des centres-villes, conjugué aux extensions successives des offres commerciales périurbaines suffisent-ils, à eux seuls, à expliquer la désertification que subissent les centres-villes français depuis la seconde moitié du vingtième siècle ? Comme évoqué dans la première partie de ce dossier, le manque de places de stationnement et, plus généralement, la moindre accessibilité, pour les voitures, des centres-villes par rapport aux zones commerciales qui, elles, sont dotées d’un grand nombre de places de parking, est régulièrement désigné par les gérants de petits et moyens commerces pour expliquer le déclin des centres-villes.  Or, plusieurs études récentes indiquent que lesdits commerçants se trompent très probablement de combat. En 2019, une étude du Cerema, Mobilité et commerces – Quels enseignements des enquêtes déplacements ?, montre que dans les grandes villes (communes de plus de 100 000 habitants), seuls 24% des clients se rendent en voiture chez leurs petits commerçants en centre ville. Un chiffre plus nuancé dans les villes moyennes (entre 10 000 et 100 000 habitants), puisque la moitié utilisent leurs voitures pour faire leurs courses en centre-ville. Il n’en reste pas moins vrai que la moitié des clients se rendent chez leurs commerçants à pied ou à l’aide des transports en commun. 

Des clients en demande d'alternatives à la voiture.

A noter que dans les deux cas, les transports en commun représentent une part très faible des déplacements : 10% dans les grandes villes et seulement 3% dans les villes moyennes. Est-ce à dire que l’offre de TC reste grandement insuffisante ou se trouve inadaptée aux attentes et contraintes des habitants dans la plupart des villes ? Si une méthode alternative à la voiture, sachant correspondre à leurs besoin leur était proposée, y aurait-il un impact sur leur comportement et cela permettrait-il aux petits commerces de centre ville d’attirer davantage de clients ?

Une étude plus récente, menée en 2021 dans la région de Lille, semble aller dans ce sens. L’enquête, lancée par Mathieu Chassignet, ingénieur en mobilités durables, et ses étudiants de Science Po Lille, auprès des habitants de Lille et Saint-Omer, révèle que “87% des automobilistes Lillois interrogés déclarent utiliser également d’autres moyens de transport pour se rendre dans le centre-ville. Surtout, ils sont 70% à indiquer que s’ils n’avaient pas pu se rendre en voiture dans le centre-ville, ils seraient tout de même venus par un autre moyen.” Au global également, les résultats de l’enquête montrent, comme l’étude du Cerema, que l’importance de la voiture reste grandement à relativiser, puisqu’à Lille, les automobilistes ne représentent que 21% de la clientèle des commerces du centre-ville. 

A Saint-Omer, commune de 15 000 habitants, l’étude confirme quant à elle les disparités entres les grandes villes et les villes moyennes quant aux moyens de déplacement des clients des commerces de centre ville : 60% des personnes interrogées déclarent se rendre en ville en voiture et parmi ces automobilistes, 77% indiquent  qu’ils ne seraient pas venus s’ils n’avaient pas pu venir en voiture. Des résultats qui illustrent le manque d’alternatives à la voiture dans les villes moyennes et les petites communes.

D’ailleurs, si  39% des répondants affirment encore vouloir souhaiter une facilitation de  l’accès automobile, ils sont 55% à considérer qu’il faudrait développer des alternatives à la voiture.

Peut-on en conclure que le maillage, généralement pauvre, des transports collectifs en petites et moyennes agglomérations fait partie des facteurs principaux ayant conduit à la disparition des commerces indépendants en centre-ville ? Les municipalités doivent-elles étoffer ce maillage, tout en facilitant l’accès ou centre-ville par les automobilistes ou, au contraire, doivent-elles étendre leurs zones piétonnes au risque de provoquer la grogne de ses commerçants et de ses habitants motorisés ?  Et quid du rôle de la duplication des offres en centre-ville et en périphérie ? Doit-on limiter l’implantation de grandes surfaces en zones périurbaines ? 

Réponses dans la 3e partie de ce dossier, Décroissance urbaine et migrations intra-agglomération : la désindustrialisation et le rêve pavillonnaire ont-ils tué nos centres-villes ?

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Décroissance urbaine et migrations intra-agglomération : la désindustrialisation et le rêve pavillonnaire ont-ils tué nos centres-villes ?