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Black Friday : la fin d’une époque ?

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ntre l’inflation, la crise climatique et des acteurs de plus en plus enclins à proposer des remises dès le mois d’octobre, le Black Friday connaît cette année un tournant inédit dans son histoire. Enregistrant, malgré le contexte, des ventes records aux États-Unis, l’événement a connu un succès en demi-teinte en France, selon les premiers chiffres publiés.

“Son opulence et ses dépenses compulsives ont des airs anachroniques à l’heure de la sobriété et des cordons de bourse qui se serrent.” C’est en ces termes que le magazine Challenges qualifiait la semaine dernière le Black Friday, deux jours avant sa date de lancement officielle. Une fête commerciale qui allait, cette année, selon le média économique, se dérouler “sous de fâcheux auspices”, notamment pour le e-commerce, qui “se trouve pris en étau entre des Français qui veulent réduire leurs achats, et les appels à la sobriété énergétique”. Selon une enquête du cabinet Harris Interactive, menée pour la Fevad et relayée par Challenges, 30% des Français envisageaient effectivement, à la veille de l’événement, de ne pas participer au Black Friday, “en premier lieu à cause des tensions sur le pouvoir d’achat”

De son côté, le cabinet de conseil Strategy& France se révélait quant à lui bien plus optimiste avec, lui aussi, une étude et des chiffres à l’appui : “Le Black Friday préserve son attractivité auprès des Français, avec un budget en hausse de 8 % par rapport à l’an dernier.”

Le Black Friday place commerçants et clients face à un dilemme.

Aussi contradictoires qu’elles puissent paraître, ces deux prédictions illustrent justement l’incertitude dans laquelle se trouvent en ce moment aussi bien les clients que les commerçants. Dans un contexte sans précédent, où crises économique et écologique s’entremêlent, les clients se retrouvent face à un dilemme : doivent-ils profiter des remises du Black Friday pour faire de bonnes affaires et préparer les fêtes à moindre coût, ou doivent-ils le bouder eu égard à son impact sur l’environnement ? Un impact qui, rappelons-le, s’avère loin d’être négligeable. Pour prendre l’exemple du Royaume Uni,  selon Green Alliance, “80 % des articles achetés à cette occasion se retrouvent à l’état de déchets dans l’année qui suit”.  

En France, “en période de Black Friday, le nombre de colis livrés chaque jour dans la capitale est quasiment multiplié par dix (et atteindrait 2,5 millions de livraisons) par rapport à la moyenne du reste de l’année”, indiquait récemment Reporterre

Or, “sur les millions de colis expédiés en l’espace de quelques jours, environ un quart sont renvoyés à l’expéditeur par les consommateur·rices de moins de 30 ans”, d’après Oxfam France. Et si l’on en croit l’ONG, les marques ont, de surcroît,  “bien plus d’intérêt aujourd’hui à détruire les invendus, afin de limiter les frais de stockages, plutôt que de les reconditionner et les revendre à plus bas prix encore”.

Un décalage entre la politique RSE des enseignes et l’impact de leurs activités liées au Black Friday.

Ce dilemme, un nombre croissant de distributeurs s’y retrouvent aussi confrontés. Ces dernières années, le secteur a vu exploser les initiatives en faveur du climat et de la biodiversité de la part d’acteurs qui, d’un côté, déclarent vouloir atteindre la neutralité carbone à court ou moyen terme et qui, de l’autre, prennent part au Black Friday chaque année et participent, par là même, de la pollution et du gaspillage qu’il engendre. C’est par exemple le cas du géant américain Walmart, qui se donne pour objectif de  « réduire ses émissions opérationnelles à zéro d’ici 2040 » et qui, durant cette édition du Black Friday, a dominé Amazon en termes de recherches de promotions en ligne. Même chose en magasin où, selon les analystes de BofA, “le trafic est apparu particulièrement dense, notamment en ce qui concerne les rayons électroniques, alimentation et jouets”.

Il y a donc fort à parier que Walmart pourra se prévaloir d’un volume de ventes plutôt très satisfaisant cette année, alors même qu’à l’instar d’Amazon et Target, le distributeur avait lancé les hostilités du Black Friday dès la mi-octobre avec ses journées “Rollbacks and More”, contribuant à l’allongement du temps fort promotionnel de fin d’année, ainsi qu’à la consommation de masse, génératrice d’émissions de gaz à effet de serre et de déchets, qu’il implique. 

De plus en plus d’acteurs décident de boycotter l’événement.

Pour sortir de cette contradiction entre leur politique RSE et l’impact de leurs activités commerciales liées au Black Friday, certains acteurs, comme eBay pour la première fois cette année, décident de renoncer à la manne qu’il représente en boycottant purement et simplement l’événement. Les marques et enseignes sont ainsi chaque année plus nombreuses à rallier le collectif anti-Black Friday, Green Friday. En outre, le mouvement Make Black Friday green again, lancé par Faguo en 2019 et dont les parties prenantes s’engagent à ne pas participer à l’événement,  “progresse lui aussi, avec plus de 1300 participants, soit 100 de plus qu’en 2021”, d’après le rapport publié aujourd’hui par Madame Benchmark

Un contexte inédit qui place le Black Friday à un tournant de son histoire.

En bref, une inflation de laquelle peut, à la fois, résulter une baisse de la consommation et une recherche de petits prix et donc, de promotions ; une volonté croissante de la part des clients d’opter pour un commerce plus responsable et respectueux de l’environnement ; des acteurs confrontés à la hausse des prix de l’énergie et des tarifs demandés par leurs fournisseurs ; un Black Friday qui s’allonge dans le temps, diluant, de fait, le trafic et les ventes qu’il génère ; des marques et enseignes toujours plus nombreuses qui, pour des questions d’éthique et de responsabilité environnementale, n’hésitent plus à boycotter l’événement… : le Black Friday est au cœur d’un tournant inédit. Et bien malin qui aurait pu, en amont, présumer de son succès ou de son échec. 

Des ventes records aux États-Unis, des résultats moyens en France.

Près d’une semaine après le jour J, les premiers bilans sont partagés. À l’échelle mondiale, l’édition 2022 du Black Friday devrait “dépasser 2021 au niveau mondial avec 65 milliards de dollars de recettes”, selon UFC – Que Choisir. Aux États-Unis, Adobe Analytics fait état d’un record de plus de 9 milliards de dollars dépensés en e-commerce, sur la seule journée du 25 novembre, soit une croissance de 2,3% par rapport à 2021. En France, en revanche, “le Webloyalty Panel, qui regroupe 37 sites e-commerce parmi les leaders français, enregistre un volume global de commandes en ligne en baisse de 7% sur le mois de novembre par rapport à l’année 2021”, rapporte Comarketing News

Les Français ont-ils décidé de préserver leur porte-monnaie en limitant leurs achats au strict nécessaire cette année ? Ont-ils été plus sensibles aux mouvements anti-Black Friday que leurs homologues états-uniens ? Finalement, feront-ils de la sobriété le maître mot de leurs fêtes de fin d’année en réduisant leurs dépenses et/ou en optant, par exemple, pour des produits issus de l’économie circulaire ? Les prochaines semaines devraient apporter leur lot de réponses…