[Dossier] Retail 2023 – #6 – Spécial Chine : des consommateurs chinois à la recherche de toujours plus d’expériences et de services.
Après deux années difficiles pour le marché chinois dues à la politique zéro Covid très restrictive impulsée par le gouvernement, les perspectives de croissance pour 2023 ont été revues à la hausse avec une estimation à 5,2% de croissance par le Fonds monétaire international. Gianvito D’Onghia, directeur du business development chez Altavia China, et Louis Houdart, ancien co-fondateur de Creative Capital et aujourd’hui entrepreneur dans les marques, tous deux spécialistes du retail en Chine, nous livrent leurs points de vue sur les tendances retail en Chine en ce début d’année…
Chine vs Asie du Sud-Est : Le célèbre salon du retail Retail’s Big Show de New-York qui a lieu annuellement en janvier connaîtra aussi en juin 2024 une 2e édition à Singapour. Est-ce le signe d’un déclin de la Chine au profit de l’Asie du Sud-Est ?
Gianvito D’Onghia : Pas forcément, le marché d’Asie du Sud-Est est très complémentaire de celui de la Chine et ce, pour des raisons historiques et économiques. On voit d’ailleurs que beaucoup de marques qui ont du succès en Asie du Sud-Est sont lancées par des Chinois. A titre d’exemple, Chagee une marque chinoise de Milk Tea cartonne en ce moment en Malaisie, avec un plan d’expansion dans d’autres pays de l’Asie du Sud-Est pour 2023, et l’ambition de devenir le Starbucks d’Orient.
Louis Houdart : Les groupes occidentaux semblent en effet désormais vouloir diversifier leurs investissements également du côté de l’Asie du Sud Est qui représente un marché de trois milliards de dollars en termes de consommation. Beaucoup de grands groupes chinois regardent aussi au-delà des frontières de leur pays, et on voit que même les géants comme Alibaba ou Tencent développent ou financent des start-up en Asie du Sud-Est. Cela aura comme conséquence évidente de booster le retail tech dans cette zone du monde, en Asie du Sud-Est mais aussi en Chine forcément.
Le boom du design immersif XR : Métavers, réalité virtuelle, influenceurs virtuels, ces expériences sont-elles devenues fréquentes dans le commerce chinois ?
Gianvito D’Onghia : C’est un moyen qui est aujourd’hui intégré dans le marketing des marques à différents niveaux et utilisé fréquemment pour engager les gens. Les expériences virtuelles se développent de plus en plus en Chine, avec par exemple tous les mois, des activations et projets Web3 lancés par les marques et shopping malls (récemment Balenciaga, Meta Street Market x K11, Betty Wu x Art Toy digital collectibles…), ou des expériences d’achats métavers comme le pop-up shop virtuel lancé dans Tmall par L’Oréal pour la Saint Valentin.
Louis Houdart : Les influenceurs virtuels, qu’on appelle ici les virtual idols, sont utilisés par de nombreuses marques locales ou internationales en Chine car ils présentent l’avantage de ne pas pouvoir faire de pas de travers en termes de communication et donc d’éviter la censure. En parallèle, l’expérience dans le commerce passe toujours par la gamification. Les magasins proposent le plus souvent d’activer en magasin le Wechat des clients pour favoriser les interactions digitales en magasin et faciliter par exemple l’envoi de promotions par la suite.
Louis Houdart, ancien co-fondateur de Creative Capital et aujourd’hui entrepreneur dans les marques.
E-commerce, magasins physiques : Comment les marques fonctionnent-elles dans leur stratégie multicanale ?
Gianvito D’Onghia : La partie e-commerce est vraiment très développée en Chine au détriment sans doute des magasins physiques. Pour pousser les gens à aller dans l’espace physique, redonner de l’attrait aux shopping malls, il faut que l’espace physique offre quelque chose de plus. On constate ainsi que les Chinois, et surtout les jeunes, vont en magasin essentiellement pour vivre des expériences et convertissent souvent leur achat en ligne par la suite. L’idée pour les marques est donc de leur offrir des expériences avec, par exemple, des installations artistiques ou merchandising devant lesquelles il est possible de se prendre en photo. L’identité des jeunes est très liée à ce qu’ils postent sur leurs réseaux sociaux, les marques jouent donc là-dessus car c’est du CGA « consumer generated advertising » pour elles et ça favorise la loyauté des clients.
Shopping mall vs petites boutiques : qui remporte la bataille ?
Gianvito D’Onghia : C’est toujours un must d’aller dans des shopping malls mais on voit aussi apparaître un intérêt pour les petites boutiques avec des community hubs qui répondent à l’identité et aux demandes de certains groupes de consommateurs. L’idée est de créer du network dans certains quartiers autour de communautés qui partagent les mêmes valeurs et le même style de vie.
Louis Houdart : En effet, il y a eu en Chine pendant des années une explosions des malls avec une uniformisation des magasins et on voit apparaître une franche tendance à la réappropriation des petites rues par des cafés et des magasins branchés. Par exemple, Prada a déjà ouvert plusieurs pop-up stores dans des petites boutiques de rues.
Gianvito D’Onghia, directeur du business development chez Altavia-China
Quelles sont les tendances actuelles dans la mode ?
Louis Houdart : Les tendances autour de l’escapisme et du glamping se confirment. Avant, les petits villages de campagne étaient très agricoles et n’étaient absolument pas considérés comme des destinations par les urbains qui y voyaient des endroits assez misérabilistes. Depuis le Covid, les jeunes urbains chinois sont en demande de nature et de campagne, qui leur apportent une vraie bulle de liberté. Les marques outdoor connaissent une forte croissance en Chine et cela va de pair avec une sensibilisation à l’environnement pour les jeunes urbains qui deviennent proches sur ces thématiques des urbains américains et européens.
Gianvito D’Onghia : La tendance au bien-être, aux activités outdoor est certaine. On voit ainsi émerger des marques autour de ce qu’on appelle l’athleisure au croisement entre le streewear et le gymwear qui favorisent le confort et le style dans l’habillement. Maia Active, Lululemon accompagnent ainsi ce style de vie plus sain qui a clairement émergé avec l’épidémie. Promenades, yoga, glamping, les jeunes générations ont une conscience accrue de l’importance du work life balance.
Ecologie / seconde main : Où en est-on ?
Gianvito D’Onghia : Les jeunes Chinois surtout ceux qui sont nés après 1990 prennent aujourd’hui en compte l’écologie et la durabilité dans le choix des marques qu’ils achètent : ils n’achètent pas forcément parce que c’est éco-friendly mais en revanche ils ne vont pas acheter si ce n’est pas éco-friendly.
Louis Houdart : En ce qui concerne la seconde main, il y a une nouvelle vague, plutôt de niche,
dans le luxe mais le challenge en Chine, pour ce marché, est clairement le supply. Car si la Chine est un marché essentiel pour le secteur du luxe, c’est aussi un marché assez jeune qui date d’à peine 15 ou 20 ans. Il y a donc assez peu de produits vintage à proposer ou seulement des produits très uniformes. La Gen Z chinoise est donc ravie, lorsqu’elle voyage en Europe, de faire les boutiques vintage pour deux raisons : des problématiques de coût pour certains mais aussi, pour beaucoup, la volonté d’avoir des pièces uniques qui permettent d’affirmer sa différence.
Alimentaire : Côté food, quels sont vos constats ?
Louis Houdart : La lazy economy est clairement une tendance qui se maintient, notamment chez les jeunes, qui sont en demande de toujours moins d’interactions quand ils vont au restaurant, prennent à emporter ou commandent à domicile. QR code à scanner pour commander et payer via Wechat : ils cherchent des choses pratiques et efficaces.
Gianvito D’Onghia : La partie offline reste aussi très développée, avec des services qui accompagnent la restauration pour rendre l’expérience plus agréable pour le client et, ainsi, le fidéliser : par exemple la chaîne de Hotpot Haidilao offre des services de manucure destinés aux clients qui attendent leur table.