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Les techs dans le commerce ne font pas des commerçants.

Les techs dans le commerce ne font pas des commerçants.

Au cours de la seconde moitié des années 2010, les experts ès commerce du monde entier n’avaient qu’un seul mot, ou presque, à la bouche : retail apocalypse

Cette retail apocalypse qui devait, à plus ou moins court terme, enterrer définitivement le commerce physique au profit du e-commerce et des géants de la tech, comme l’américain Amazon ou le chinois Alibaba, n’a finalement jamais eu lieu. Même la crise sanitaire, qui a contraint de nombreux magasins à fermer leurs portes durant plusieurs mois incitant, de fait, les clients à se tourner vers le commerce en ligne pour effectuer leurs achats, n’a pas porté, au commerce physique, le coup de grâce tant attendu

 

Évidemment, ni l’avènement du e-commerce, ni la pandémie n’auront laissé le commerce physique indemne. Évidemment, certains secteurs, à l’image du prêt-à-porter, ont particulièrement souffert des crises et changements de comportements d’achats dont ces dernières années ont été le témoin. Il n’en reste pas moins vrai que, trois ans après le premier confinement, le magasin physique n’a jamais été autant plébiscité par les clients. Selon une enquête OpinionWay réalisée en ce début d’année, 97% des Français considèrent ainsi le magasin comme utile (contre 90% pour le e-commerce) et 51% le considèrent comme très utile (contre seulement 30% pour le commerce en ligne). 

 

Ces DNVB qui s’installent dans des boutiques “en dur”.

 

Cet attachement des clients pour le magasin, un nombre croissant de pure players entendent, depuis plusieurs années, le faire fructifier en ouvrant, à leur tour, des points de vente physiques. C’est le cas, par exemple, de Warby Parker.  Le pure player spécialisé dans la vente de lunettes, pionnier du modèle Direct-to-consumer, a d’ores et déjà ouvert 200 magasins aux États-Unis et annonce son ambition d’exploiter, à terme, pas moins de 900 points de vente sur le territoire américain. Selon Warby Parker, “l’ouverture  d’un magasin physique sur un nouveau marché lui permet, en moyenne, de tripler les ventes en ligne dans la région”. Et le lunetier est loin d’être le seul acteur du e-commerce à s’être lancé dans l’aventure du brick-and-mortar. Tediber, Jimmy Fairly, Merci Handy…: on ne comptent plus les DNVB qui ont fait le choix d’ouvrir des boutiques physiques.

 

Quand les géants de la tech investissent le commerce physique…

 

Du côté des géants de la tech, Alibaba investissait le retail physique dès la seconde moitié des années 2010, à travers, entre autres,  des prises de participation dans Suning, l’un des leaders chinois de la distribution d’électroménager. À la même époque, Amazon ouvrait sa première librairie, Amazon Books, et inaugurait, à Seattle, sa toute première supérette Amazon Go. Un appétit des leaders du commerce électronique pour le “brick and mortar” qui faisait craindre le pire pour les acteurs historiques..

 

C’était oublier ce qui fait l’essence-même du commerce physique : sa capacité à tisser des liens forts et pérennes avec ses clients, au sein de ses magasins. Une capacité dont tout commerçant doit faire preuve au quotidien s’il veut survivre sur le long terme et dont les géants de la tech ont, tous ou presque, sous-estimé l’importance en se lançant dans l’aventure du commerce “en dur”.

 

…et se heurtent aux réalités du métier.

 

C’est ainsi qu’en 2022, le géant chinois JD.com, qui avait annoncé à peine quelques mois plus tôt investir l’Europe avec l’implantation de supermarchés entièrement automatisés aux Pays-Bas , a vu sa filiale européenne essuyer les départs simultanés de son COO et de son CMO. Un coup dur pour l’enseigne, qui éprouvait déjà des difficultés à séduire une nouvelle clientèle en local…

 

La même année, Amazon interrompait le déploiement de ses magasins Fresh au Royaume-Uni, faute d’avoir su convaincre les Britanniques de tenter (et de renouveler) l’expérience du magasin sans caisse. Même constat d’échec pour ses  librairies Amazon Books qui, au bout d’une expérimentation de sept ans jugée “trop peu rentable”, ont baissé le rideau au printemps 2022.

 

Le libraire : bien plus qu’un vendeur de livres.

 

Cet échec d’Amazon Books n’a, pour moi, rien d’étonnant, puisqu’avec ses librairies, Amazon n’a fait que calquer, en magasin, l’expérience d’achat offerte sur son site e-commerce. Or, lorsque l’on se rend dans une librairie, le plus souvent, ce n’est pas l’immédiateté que l’on recherche. On n’a, non plus, ni l’envie, ni le besoin de savoir si un livre a été acheté, apprécié ou même détesté par d’autres acheteurs.

 

Surtout, lorsque l’on se déplace en magasin, c’est pour vivre une expérience de magasin. C’est pour toucher le produit, le tester, l’essayer. Quoi de plus plaisant que de feuilleter un livre en librairie ? Quoi de plus plaisant que de découvrir, au détour d’un rayon, un livre inattendu, qui éveille la curiosité et, pourquoi pas, l’envie de l’acheter ? Une surprise qu’un site e-commerce, dont les algorithmes tendent à nous montrer “ce que l’on veut voir”, ne peut nous procurer. Une surprise qu’un magasin comme Amazon Books, qui ne proposait que peu de références, préférant se focaliser sur les ouvrages les mieux notés en ligne, ne pouvait pas non plus offrir. En réalité, cette surprise, seul un libraire indépendant, libre dans le choix des livres qu’il propose aux clients, est à même de la procurer. 

 

C’est justement  en donnant, notamment,  plus de liberté à ses points de ventes dans leurs commandes, que la chaîne américaine de librairies Barnes & Nobles a réussi à renaître de ses cendres et prévoit même, cette année, d’ouvrir pas moins de 30 magasins supplémentaires. Les librairies indépendantes américaines ne se sont, d’ailleurs, quant à elles, jamais mieux portées depuis 20 ans. Et il en va de même en France, où les créations de librairies ont atteint un niveau record en 2022. 

 

Décidément, les techs qui se lancent dans le commerce n’en deviennent pas pour autant des commerçants…