[Dossier] Les dirigeantes du retail #2 : Cathy Collart Geiger, 1e femme PDG du secteur alimentaire français : « Quand je serai grande, je serai PDG ».
Cathy Collart Geiger dirige Picard Surgelés depuis trois ans © Ludovic Lecouster
Elle a débuté comme chef de rayon d’hypermarché à 23 ans. Deux décennies plus tard, Cathy Collart Geiger est PDG de l’entreprise Picard Surgelés. Une ascension au mérite, pourtant encore bien singulière dans le paysage du secteur alimentaire français puisque la Lilloise d’origine est aujourd’hui la 1e et seule femme PDG d’une grande enseigne… Échanges avec une femme multitâches à la volonté d’acier.
Vous êtes la seule femme PDG du secteur alimentaire français. Qu’est-ce qui vous a guidée pour arriver à un tel niveau de responsabilités ?
J’ai un père qui était militaire de carrière, il était à la tête d’une équipe qu’il savait fédérer autour d’un projet commun. Il faisait partie des Casques bleus et a été missionné en Yougoslavie. Ses hommes, qui partaient se battre au péril de leur vie, avaient des étoiles dans les yeux car mon père les avait réunis autour d’un projet commun. C’est ce côté « meneuse d’hommes » qui m’a d’abord animée : j’avais envie de manager, de fédérer, de donner envie aux équipes de me suivre. Ce premier moteur a été enrichi de mon expérience significative chez Auchan. Ayant rejoint le groupe en 1994, j’y ai fait 20 ans de carrière et j’y ai tout appris. Je me souviens être arrivée avec un morceau de parquet devant mon chef en lui disant vouloir créer un espace lingerie. 20 ans plus tard, ces espaces existent toujours dans les magasins !
Mon ambition s’est forgée progressivement, même si je sais que ce mot surprend encore parfois lorsqu’il est employé par une femme… A l’époque, j’étais chef de rayon et je m’étais dit « quand je serai grande, je serai directrice d’hypermarché » et quand j’ai été directrice d’hypermarché, je m’étais dit « quand je serai grande je serai directrice générale ». Cela faisait sourire mon entourage professionnel à l’époque, mais moi, j’y croyais ! Je ne savais pas combien de temps ça allait me prendre ni quel chemin allait m’y mener mais je savais que j’y arriverais.
Quel a été votre secret pour ne jamais perdre espoir ?
J’ai toujours été très alignée avec ce que j’avais envie de faire et je n’ai jamais écouté ce qu’on pouvait me dire. J’ai même quitté Auchan après 20 ans de carrière car je ne parvenais plus à évoluer, j’avais atteint le plafond de verre…. Je n’ai jamais subi et ne me suis jamais mise dans le moule dans lequel on voulait que je sois. Je savais quels étaient mes moteurs : impacter, entreprendre, et j’ai poursuivi mon propre chemin étapes par étapes. Aujourd’hui, cela fait trois ans que je dirige Picard, l’enseigne alimentaire préférée des Français.
Chef de rayon, Directrice d’hypermarché, Directrice régionale… vous avez occupé une multitude de postes tout au long de votre parcours. Est-ce une force aujourd’hui pour vous ?
J’ai exercé tous les métiers de la grande distribution, cela fait de moi quelqu’un d’extrêmement solide avec une vision 360 des enjeux de l’entreprise et du secteur. Je navigue de la politique RH, à l’expansion, en passant par la data et le digital… Ce parcours riche m’a donné des compétences très opérationnelles, ce qui me parait être un vrai plus pour un dirigeant d’entreprise à une époque où nous vivons crise après crise. Je suis également très attachée au sujet de la parité : mon comité de direction est composé pour 50% d’hommes et 50% de femmes, et notre dernier indice d’égalité professionnelle hommes-femmes est de 99 sur 100. C’est une fierté car cela vient récompenser nos efforts en la matière, notamment pour rattraper les écarts de salaires entre les hommes et les femmes.
Quelle est votre stratégie pour Picard pour 2023 ?
Notre stratégie est de poursuivre le plan de transformation entamé en 2020 et qui repose sur quatre axes :
- Mettre le client au cœur de la stratégie commerciale. Nous devons continuer de faire connaître notre programme de fidélité « Picard & Nous » à nos clients, poursuivre le déploiement de notre nouveau concept de magasins Bienvenue en cuisine qui concerne aujourd’hui une trentaine de magasins. Ces chantiers déjà entamés sont porteurs de résultats puisque nous avons déjà recruté 2 millions et demi de clients ces deux dernières années.
- Poursuivre notre transformation digitale et continuer à optimiser les parcours de courses de nos clients qui ont déjà accès à la livraison à domicile et au click and collect …
- Poursuivre notre conquête du territoire. Sur notre exercice 2020, nous avons ouvert 19 magasins, 30 en 2021, 40 en 2022 et j’en prévois encore 40 sur l’exercice 2023. Nous avons actuellement 1 090 magasins avec une montée en puissance des franchises. Il y avait 10 franchises à mon arrivée, on en dénombre 48 aujourd’hui. C’est pour moi un modèle de développement très pertinent sur des plus petites villes avec des entrepreneurs bien implantés dans le tissu local. Notre souhait est d’être à 15-20 mn du consommateur. Nous continuons aussi notre expansion à l’international avec un modèle qui n’est pas le magasin tel qu’on le connaît en France mais plutôt le corner ‘shop in shop’ à l’intérieur d’un retailer qui a déjà pignon sur rue. Nous sommes aujourd’hui présents dans 18 pays.
- Dernier pilier, rendre notre marque incontournable.
© Picards Surgelés
Un projet phare déjà acté pour 2023 ?
Nous venons de signer début 2023 notre premier accord de Qualité de vie au travail avec 50 mesures concrètes comme un jour de congé supplémentaire pour les personnes de plus de 60 ans ou le financement d’une application de covoiturage pour nos salariés. Nous avons signé aussi un accord Handicap en ce début d’année. Nous avons aussi annoncé vouloir recruter des salariés de Toupargel suite à la liquidation judiciaire du groupe car Il m’apparaît essentiel de faire preuve de solidarité face à cette situation qui m’attriste beaucoup.
Comment prenez-vous en compte les problématiques environnementales ?
Notre action repose sur plusieurs leviers. Nous travaillons notamment à la réduction de nos emballages plastiques. Nous avons ainsi économisé 1 000 tonnes de plastique en deux ans en les remplaçant par d’autres matières comme des verrines en pulpe de canne, du carton ou en jouant sur les dimensions car nous avions parfois de gros emballages pour des petits produits. Nous sommes aujourd’hui à 80 % de notre plastique recyclé. Nous avons diminué aussi notre empreinte carbone grâce à l’optimisation des tournées magasins pour réduire la distance ou encore la réduction de la consommation d’énergie en magasins.
© Picards Surgelés
Comment vous positionnez-vous face à l’inflation ?
Nous avons fait le choix de répercuter seulement le prix des matières premières. Fin décembre, nous étions à 10% d’inflation, début janvier 12%, sachant que le marché des surgelés est à 17%. Si je répercutais tous mes postes de charges dans les prix, ils augmenteraient de 30%, ce qui pour moi, est inenvisageable. Nous avons donc décidé cette année de réduire notre profitabilité plutôt que de répercuter l’augmentation de tous nos postes de charge sur le consommateur.
Comment rendez-vous plus humaine l’expérience d’achat en ligne ?
Nous utilisons par exemple la data liée à notre programme de fidélité. Cela nous permet d’adresser des messages personnalisés à nos clients. Juste un exemple : en fin d’année 2022, les clients qui avaient acheté des pains surprises pour Noël ont reçu un sms la veille leur rappelant de ne pas oublier de les décongeler pour prendre en compte les 10 heures de décongélation. Nous ne sommes pas seulement sur de la relation business mais aussi sur de la relation d’accompagnement.
Un mot pour une jeune femme qui aimerait entreprendre ?
Je lui dirais d’y aller et d’y croire terriblement, à condition que ce soit vraiment quelque chose qui l’anime et que cela corresponde profondément à ses valeurs et à ses moteurs. c’est cet alignement à mes valeurs, style et à ma volonté qui m’ont fait réussir. Cela donne une solidité redoutable… !